Comment réussir l’innovation en France ? Comment créer les conditions pour qu’il y ait davantage de start-ups innovantes en France ? Comment réussir à créer de nouvelles grandes entreprises mondiales ? Plus généralement, comment trouver un modèle économique scalable? Voici quelques-unes des questions que j’ai eu l’occasion de me poser au cours d’une conférence que j’ai organisée à L’Espace Dirigeants avec Marie Ekeland, investisseur et coprésidente de France digitale.
I/ Le CAC 40 est composé d’entreprises centenaires
En parlant avec Marie Ekeland, la première chose qui a marqué mon esprit porte sur l’âge des entreprises du CAC 40 : 103 ans en moyenne. Autrement dit, les entreprises françaises reconnues mondialement ont été créées à la Belle Époque, cette période de grande prospérité et de grande innovation qui démarre en 1873 et se termine en 1913.
À cette époque, l’économie française prend le leadership industriel dans plus de 27 secteurs industriels différents tels que l’automobile, la photographie, l’aéronautique, la chimie, la métallurgie, la cosmétique et l’agroalimentaire. Les entreprises telles qu’Air Liquide, L’Oréal, Renault, Peugeot, Citroën sont créées avec un capital de départ relativement modeste. Mais, ces entreprises sont extrêmement rentables dès leur démarrage.
C’est aussi au cours de la Belle Époque que la France organise des expositions universelles ce qui confère à Paris son titre de « ville des lumières ». De cet héritage il reste la tour Eiffel et le Grand Palais. Mais nous avons égaré la pierre qui figurait sur le fronton du Grand Palais sur lequel on pouvait lire que : « l’avenir sera fait avec les outils que nous aurons forgés »
Encore aujourd’hui partout dans le monde, on trouve des vestiges de cette Belle Époque française : les publicités ont marqué l’esprit par leur esthétisme. Mais, ce qui reste de cette Belle Époque est aussi quelque chose d’intangible : l’idée que la créativité et l’innovation son les domaines où la France excelle.
II/ Pourtant, la France éprouve des difficultés à renouveler son économie
C’est sans doute cette idée-là qui m’a le plus marqué au cours de mon échange avec Marie Ekeland. Elle m’a par exemple informé qu’elle ne souhaitait plus investir dans des start-ups qui visent le marché professionnel. En effet, ces start-ups doivent composer avec un tissu économique et industriel qui n’est pas du tout propice à leur croissance à moyen et long terme.
En particulier, ces start-ups doivent travailler avec des grandes entreprises du CAC 40 qui ont été créées à la Belle Époque. Mais, ces grandes entreprises ont perdu beaucoup de cette énergie d’innovation qui a pourtant été déterminante à leur création. Ces grandes entreprises ne sont plus gérées par des visionnaires, mais par des gestionnaires. L’acte de vente est devenu très complexe, très onéreux, et peu rentable. Ainsi, Marie Ekeland parle du cas de Criteo, un cas qu’elle connaît très bien puisqu’elle y a été le premier investisseur.
III/ Pour trouver un modèle économique scalable, il est nécessaire d’en tester plusieurs
L’entreprise Criteo a connu différents modèles économiques. L’un des modèles économiques consiste à créer un moteur de recommandation de produits culturels. La vente de ce moteur de recommandation s’est avérée extrêmement complexe :
- d’une part, il faut réussir à convaincre la direction marketing d’intégrer ce moteur de recommandation au sein de la page d’un site de e-commerce
- ensuite, il faut convaincre la direction informatique d’intégrer ce moteur dans le système d’informatique de l’entreprise
- puis, il faut convaincre la direction des achats de travailler avec une start-up, là où les achats préfèrent travailler avec de grandes entreprises afin de minimiser le risque de défaillance économique
- enfin, ayant convaincu la direction marketing, la direction des achats, et la direction informatique, il faut convaincre le directeur général qui veut que ce nouveau moteur soit aligné avec la stratégie générale de l’entreprise.
L’ensemble de cet acte de vente prend en moyenne un an et aboutit sur une vente de l’ordre de 100 000 €. Mais, pour réaliser une telle vente, il faut investir les sommes considérables dans l’acte de vente et recruter une force commerciale sénior qui coûte cher
D’après Marie Ekeland, ces start-ups visant le marché professionnel peinent à être rentables. Elles ne sont pas scalables et par conséquent, elles ne permettent pas de réussir l’innovation. Les grandes entreprises du CAC seraient donc un frein à l’innovation.
- Pour une discussion avec François Demongeot de Personal IT sur la recherche d’un modèle économique scalable, suivre ce lien.
- Pour un article sur la difficulté de la France à conserver ses cerveaux, lire ce billet.
- Pour un point de vue sur la mauvaise allocation des ressources dans les grandes entreprises, voir ici.
- Pour un article sur la valeur de l’open innovation dans le B2B, se rendre ici.
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Merci Marie & Guillaume pour ces réflexions.
Il est intéressant que c’est cette même belle époque qui a donné lieu à l’école française de management, modèle essaimé dans le monde entier pendant des décennies.
Et parmi les fondements de cette école deux points clés :
-l’aversion du risque :essayer et se tromper coûtait très cher, tant d’un point de vue financier (un prototype était bien loin d’un MVP), que personnel (l’échec plombait considérablement les perspectives de promotion)
-un alignement complet entre la structure de décision et la structure de communication : les informations remontaient des opérationnels vers la direction, en traversant toutes les couches de management avec de nombreuses “modifications” de la qualité de l’info, et seule la direction avait/devait avoir une vision globale. Puis les décisions suivaient le chemin inverse avec la même déperdition et un nouveau morcellement.
Sur ces deux points, les PMEs d’aujourd’hui, qu’elles soient dans le digital ou non, sont à l’opposé de nos fleurons du CAC 40.
Et c’est ce qui fait qu’une entreprise du CAC 40 (ou Fortune 500) regarde avec les yeux de Chimène toutes ces startups pour leur agilité et leur capacité à innover, sans pour autant trop savoir quoi en faire une fois qu’elles les ont attirées dans leur incubateur/accélérateur/factory etc…
Et de même, les startups gagneraient à se demander si en l’état, ces grandes entreprises ont autre chose à leur apporter qu’un carnet d’adresses bien établi. Car si c’est pour leur imposer leur modèle de management “à la papa”, alors oui, les grandes entreprises peuvent être un inhibiteur d’innovation pour les startups avec lesquelles elles collaboreraient.
Olivier
Merci Olivier pour tes idées.
Effectivement on assiste à une multiplication des incubateurs, accélérateurs de startups dans les grandes entreprises. J’espère que ce sera l’occasion de créer davantage de liens entre ces deux mondes. J’espère aussi que l’un et l’autre pourront s’apporter ce qu’ils ont de meilleur.
A très bientôt,
Guillaume
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