Pourquoi créer un nouveau « Think Tank » qu’aujourd’hui en France ? En quoi l’offre actuelle est-elle imparfaite ? Quels enjeux faudrait-il traiter en priorité ? Voici quelques-unes des questions qu’Olivier Babeau, fondateur et Président de l’Institut Sapiens, et moi avons évoquées au cours d’une discussion récente. L’idée en un mot : l’Institut Sapiens est le creuset des humanités numériques.
L’Institut Sapiens occupe une place originale en France
Pendant longtemps, les Think Tank ont été méconnus en France et n’ont pratiquement jamais bénéficié de moyens conséquents. Pour remédier à une condition financière précaire, la plupart se sont adossés à des partis politiques comme Terra Nova (affilié au parti socialiste) ou des entreprises à l’image de l’Institut Montaigne qui travaille avec AXA. Mais, une telle situation peut parfois donner l’impression que ces organisations promeuvent des intérêts en particulier.
On ne trouve d’ailleurs pas beaucoup de nouveau Think Tank si l’on fait exception de Génération Libre, fondée par le philosophe Gaspard Kœnig. Dans ces conditions, Olivier a considéré qu’il y a une place à prendre dans le domaine des humanités numériques. Il s’agit d’un laboratoire d’idées très moderne, jeune, apolitique et indépendant des entreprises. D’où, l’Institut Sapiens. Celui-ci repose sur quatre piliers principaux.
Premier pilier : la technologie
L’Institut Sapiens se positionne sur les enjeux de la technologie. La question c’est d’explorer les implications socio-économiques de celle-ci. Ceci paraît d’autant plus important que l’on a du mal à anticiper les évolutions politiques alors même que la prospective technologique produit des résultats plus fiables. À titre d’exemple, en 1900, on avait ébauché une vision de ce que pourrait être le monde en l’an 2000 mais personne n’avait pu imaginer les enjeux sociaux et politiques de notre époque.
Deuxième pilier : la promotion des idées
Beaucoup de Think Tank produisent des idées mais n’en assurent pas la promotion. Or, l’Institut Sapiens se propose d’être à la fois un laboratoire d’idées et un média. D’où l’organisation de déjeuners, de petit-déjeuner, la réalisation de chroniques dans les médias et la tenue d’un compte Twitter et d’un blog. À l’heure actuelle, l’Institut Sapiens est cité plus d’une fois par jour. Depuis un an et trois mois que la structure existe, Olivier a dénombré 550 reprises dans la presse.
Troisième pilier : une présence en région
Beaucoup de Think Tank sont présents à Paris mais délaissent les métropoles régionales comme Lyon, Marseille, Bordeaux et Lille. Or, l’institut souhaite être présent dans ces villes mais aussi à Lausanne en Suisse. D’ici deux ans, l’organisation veut être présente dans plus de 50 villes. D’une certaine manière, l’Institut Sapiens fonctionne un peu comme un parti politique avec cette particularité que de ne pas participer aux élections.
Quatrième pilier : la formation aux humanités numériques
Le socle de connaissances requises pour exceller dans notre monde a profondément évolué. Au XIXe siècle, un honnête homme se devait d’acquérir une culture générale allant des humanités aux sciences. Mais, avec la révolution digitale, de nouveaux savoirs se sont imposés comme l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle, la Blockchain, la réalité augmentée. Sur tous ces sujets, il existe une kyrielle de formations techniques. Mais, en trouver expliquant les enjeux philosophiques, politiques, sociologiques et économiques relève de la gageure.
De manière générale, le positionnement de l’Institut Sapiens paraît d’autant plus légitime que nous entrons, selon Olivier, dans un moment historique particulier : l’ère des extrêmes.
Les humanités numériques, une réponse à l’ère des extrêmes
Internet accroît un certain nombre de polarisations déjà latentes dans les sociétés occidentales.
Parlons d’abord de la polarisation économique. L’émergence du modèle économique des plateformes a ceci de particulier qu’il enrichit de façon significative les concepteurs de la plate-forme mais précarise, dans une large mesure, ceux qui produisent les services. Or, ces derniers font souvent partie de la classe moyenne occidentale : leurs revenus ont stagné comme le montre la « courbe de l’éléphant » de Branko Milanovic, ci-dessous :
Pour illustrer le propos, on pourrait bien évidemment citer Uber, cette plate-forme de mobilité. Celle-ci a largement bénéficié aux actionnaires de l’entreprise californienne tout en précarisant les taxis dans de nombreuses villes.
Parlons aussi de la polarisation sociale. On observe la disparition progressive de la classe moyenne comme le montre Murray avec son livre « getting apart ». Les groupes sociaux n’interagissent plus l’un avec l’autre. D’où une désagrégation sociale et une opposition entre résidents urbains et périurbains.
Enfin, la polarisation politique se révèle de plus en plus marquée. Aujourd’hui, défendre que la terre soit ronde peut presque paraître absurde dans certains milieux. Il semble en effet que beaucoup pensent que la terre est plate. Le nombre de vidéos qui l’évoquent est passé de 500 000 à plus de 25 millions. Pourquoi ? Parce que la figure de l’expert est déconsidérée. La disparition de la classe moyenne s’accompagne d’une délégitimation de la technostructure qui devait la faire éclore.
Que faire ? Comment développer les humanités numériques?
Dans ce contexte, Olivier préconise de hiérarchiser de distinguer plus fortement la science de l’opinion, la connaissance de la croyance. Réapprendre la mesure paraît également déterminant. D’une certaine manière, la polarisation signe la disparition d’une sorte d’harmonie entre polarités. S’inspirer de nouveau de la déesse de la mesure, Nemesis, s’avère crucial, selon Olivier.
Enfin, mêler la culture athénienne qui prône le savoir au mode de vie spartiate qui valorise davantage l’effort reste primordial. Il s’agit, selon Olivier, de devenir des athlètes du savoir et de la culture.
J’ai pu écouté Mr Babeau hier soir sur Fr5 lors d’un débat sur la sobriété énergétique conjuguée à la nécessité de réinvestissement dans l’entreprise pour les grosses entreprises pétrolières ou gazières… J’ai pu ainsi rapidement constaté que Mr Babeau était bien loin de “tourner” le dos aux grosses sociétés comme il le revendique dans le “synopsis” de présentation de son entreprise l’Institut Sapiens… Bien au contraire, il se mit à bien mal défendre d’ailleurs le géant Total dans une synthèse économique qu’il fut bien le seul à partager sur le plateau… Au demeurant sympathique, Mr Babeau m’a rappelé quelques-uns de ces prédécesseurs, soit disant novateurs, mais surtout arrivistes suffisants comme Jean-Marie Messier en son temps dans un monde complètement dépourvu de repère qu’il est trop facile de manipuler par le biais des Médias. Je n’ai vraiment pas été convaincu par le discours et la sincérité de Mr Babeau !