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« L’innovation change le métier des médecins », selon Pierre de Haas, médecin et membre du comité des « Sages »


Comment ont été affectés les professionnels de santé par les évolutions technologiques de ces trente dernières années ? Quels problèmes ont surgi suite à la modernisation du secteur de la santé, et quelles solutions peut-on y apporter ? Voici quelques-unes des questions que j’ai évoquées lors d’un entretien avec Pierre de Haas, médecin en maison de santé.

I/ Présentation de Pierre de Haas

Pierre de Haas -
Pierre de Haas – Médecin généraliste et président de la fédération française des maisons de santé

Médecin généraliste, Pierre de Haas exerce dans la maison de santé de Pont d’Ain. Il est le Président de la fédération française des maisons de santé et membre du comité des « sages » ayant élaboré le rapport « un projet global pour la stratégie nationale de santé » pour la ministre de santé. En outre, il est l’auteur de Monter et faire vivre une maison de santé aux éditions Le Coudrier.

II/ Les médecins doivent composer avec un triple changement

D’une part, il semble que depuis une trentaine d’années plusieurs métiers ont profondément évolué notamment sous la pression de la contrainte économique. Ainsi, selon Pierre de Haas, le métier des agriculteurs s’est totalement transformé. Mais, à l’inverse, le métier des médecins n’a que peu évolué depuis 30 ans, principalement parce que les médecins ne sont pas sujets à la nécessité économique. En effet, les médecins, du fait de leurs revenus, font partie des 5 % de Français les plus riches.

Seulement, aujourd’hui, Pierre de Haas m’a indiqué qu’un ensemble de facteurs convergent pour amener les médecins et les professionnels de santé à se moderniser. Il y a plusieurs facteurs de changement :

  • D’une part, il y a des changements de nature épidémiologique.
  • D’autre part, il y a des facteurs sociaux, relatifs au comportement du patient.
  • Enfin, il existe de potentiels nouveaux entrants sur le marché de la santé pouvant remettre en cause les positions établies des médecins.

En ce qui concerne les changements épidémiologiques, Pierre de Haas considère qu’on est passé d’un traitement de pathologies aigües à un traitement de pathologies chroniques. Ceci engendre un changement important dans la pratique médicale du médecin. Il s’agit non plus seulement de délivrer un acte de soins, de produire un acte de soins, mais aussi de prévenir. Autrement dit, on passe du soin à la santé. Ce changement de la pratique médicale en suppose beaucoup d’autres.

III/ Le travail en équipe

D’une part, le médecin généraliste doit désormais travailler davantage en équipe. Guérir ou soigner un patient polypathologique suppose la coordination de plusieurs professionnels de santé apportant chacun un élément à l’offre de santé. Par exemple, dans le cas d’un patient polypathologique, souffrant du diabète, le fait de voir le médecin généraliste 5 ou 6 fois par an n’est pas suffisant pour assurer une prise en charge. Ce qui compte c’est que ce patient soit suivi 2 à 3 fois par semaine par une infirmière qui se rend chez lui pour l’aider à changer ses habitudes de vie. En outre, le recours à un kinésithérapeute peut également s’avérer utile. Celui-ci doit alors amener le patient à faire davantage de sport ou d’exercice physique.

La médecine doit maintenant se pratiquer en équipe
La médecine doit maintenant se pratiquer en équipe

L’ensemble de ces professionnels de santé doit ensuite se coordonner pour échanger sur l’évolution thérapeutique du patient depuis sa prise en charge. Aujourd’hui, cette coordination est souvent insuffisante pour de nombreuses raisons :

  • D’une part, il y a un problème culturel. Les médecins généralistes, libéraux, n’ont pas l’habitude de travailler en équipe.
  • D’autre part, il existe un certain nombre de freins juridiques.
  • Enfin, il y a un manque d’outils techniques qui permettent d’assurer effectivement cette coordination des soins.

IV/ La demande du patient

En outre, le deuxième facteur de changement réside dans la demande, et plus particulièrement la demande du patient. Le docteur de Haas m’a expliqué que le patient d’aujourd’hui est différent du patient d’hier. Il arrive en consultation en étant bien souvent informé de sa maladie ou de sa pathologie. Il a fait des recherches sur internet. De plus, il souhaite non seulement un acte de soins, mais plus encore un conseil médical pour qu’il puisse rester en bonne santé.

Ainsi, on le voit, la demande des patients est en train d’évoluer. Elle passe d’une demande curative à une demande préventive. Les technologies digitales entraînent également une demande d’immédiateté et d’accessibilité de la part des patients.

V/ Rendre compte de l’état de santé de toute la patientèle

L'accent doit maintenant être mis sur la prévention médicale
L’accent doit maintenant être mis sur la prévention médicale

Nous avons ensuite discuté d’une autre évolution capitale qui touche le secteur de la santé. Aujourd’hui, comme me l’a démontré Pierre de Haas, la mission du médecin généraliste ne peut plus se résumer seulement aux traitements ponctuels d’une pathologie aiguë d’un seul patient. Ce qu’on attend de lui c’est de pouvoir rendre compte de l’état de santé de la totalité de sa patientèle.

En France, un médecin généraliste suit en moyenne 1100 patients. Selon Pierre de Haas, les médecins généralistes devraient être capables de rendre compte de l’état de santé global de leur patientèle. Par exemple, ils devraient pouvoir déterminer quel pourcentage de leur patientèle est hypertendu ou quel pourcentage de leur patientèle est allergique au pollen. Ces données de santé permettraient ensuite aux professionnels de santé de tirer des enseignements plus globaux sur l’état de santé de leur patientèle. Pierre de Haas m’a par exemple expliqué qu’il est possible qu’une présence importante d’une allergie déterminée soit le résultat de conditions climatiques qui sont le propre du territoire dont sont ressortissants le médecin généraliste et ses patients. Il est également possible que les caractéristiques de santé de la population soient le résultat d’une pollution excessive ou de tout autre élément.

Avec ces informations, le médecin généraliste devrait voir rendre compte à l’agence régionale de santé de l’état de santé de sa patientèle. Des dispositifs pourraient ensuite être mis en place au niveau du territoire, afin d’améliorer l’état de santé de la population.

Voici donc ce qui résume les changements auxquels font face les médecins :

  • Changements épidémiologiques
  • Changements du comportement et des attentes du patient
  • Changements du rôle du médecin qui doit désormais rendre compte de l’état de santé de l’ensemble de la patientèle

 Lectures complémentaires

  • Pour découvrir quels autres domaines ont été bouleversés par la révolution du numérique selon Gilles Babinet, se rendre ici.
  • Pour une longue discussion avec Merv Turner, ex-Merck, sur les enjeux globaux du numérique au sein du secteur de la santé, cliquer ici.
  • Pour un exposé étendu sur les avantages et la nécessité d’une meilleure coordination du parcours de santé, lire ce billet.

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