Catégories En langue française

De l’importance de la Vision en innovation, selon Olivier Arnaud


Lors d’un précédent échange, nous discutions avec Olivier Arnaud de la nécessité de ne pas considérer l’échec comme un passage obligé (voire souhaitable) pour un entrepreneur en milieu innovant.

Olivier Arnaud, fondateur de Moby-City
Olivier Arnaud, fondateur de Moby-City

S’il est un secteur où la mortalité infantile fait des ravages, c’est bien chez les startups : 85%, 90%… les chiffres « estimés » font peur. Si la « cause de décès constaté » ne fait pas débat (asphyxie par manque de trésorerie), les raisons profondes sont plus difficiles à établir.

Parmi celles-ci, il en est une que l’on constate souvent chez les porteurs de projets : l’absence d’une Vision. Bien souvent, l’idée (l’objet du projet) est considérée comme un palliatif suffisant à la vision, et cela se révèle une grave erreur.

La Vision, pour un entrepreneur innovant, c’est le futur qu’il veut construire avec son projet et auquel il souhaite appartenir. Un monde qui serait rendu meilleur par l’apport du projet. Nous européens sommes souvent refroidis par le coté grandiloquent ou prétentieux d’une telle ambition (« think big, talk big, dream big » entend-on souvent sur la côte ouest des US).

Sans se prendre pour un messie ou un super-héros, la Vision doit pourtant être beaucoup plus grande que le produit/solution. Comme Oscar Wilde le disait « avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue en les poursuivant ».

S’il s’agit ici de projets bien plus concrets que des rêves, la Vision a effectivement un rôle de boussole.

En interne, c’est elle qui dans les montagnes russes de l’innovateur vous permettra de retrouver un chemin de progrès quand les premiers retours de votre marché viendront balayer la plupart des hypothèses de votre modèle initial. Pour éviter de passer du « pessimisme informé » au « crash », votre étoile du nord sera votre Vision. C’est elle qui vous permettra de comprendre ce qui de vos premiers retours est utilisable pour améliorer votre modèle et aller de l’avant vers cette Vision.

Simon Sinek - Inventeur du concept de "golden circle"
Simon Sinek – Inventeur du concept de “golden circle”

En externe, comme l’explique si bien Simon Sinek en communiquant à vos premiers fans (early adopters) le « pourquoi » de votre projet, les raisons profondes qui vous poussent à vouloir réaliser votre Vision, vous créerez une proximité qui permettra à une partie de votre marché de se retrouver dans votre Vision. Non seulement vous attirerez ces premiers clients, mais vous les fidéliserez et en ferez vos ambassadeurs. Comme le souligne Sinek : « les gens n’achètent pas ce que vous faites, mais pourquoi vous le faites ».

Eric Ries, un des fondateurs du "Lean Startup"
Eric Ries, un des fondateurs du “Lean Startup”

Le chemin de l’entrepreneur innovant n’est non seulement pas un long fleuve tranquille, mais il est semé de cahots et de chausse-trappes. Face à tous ces « accidents de terrain », il y aura de nombreuses décisions à prendre. Et là encore la Vision sera utile. Dans sa pyramide Vision-Strategy-Product, Eric Ries (le père du Lean Startup) explique bien comment la Vision est le socle stable de l’ensemble du projet, son « why ». Là où le produit (son « what ») sera modifié quasiment constamment par améliorations successives, là où la stratégie (son « how ») pourra s’adapter de temps en temps pour pivoter et adapter le modèle aux enseignements tirés des retours du marché, la Vision elle ne changera quasiment jamais. C’est elle qui permettra de garder le cap et d’orienter toutes les myriades de décisions à prendre.

En 2006, quand Evan Williams le PDG d’Odeo –une startup spécialisée dans le podcasting- propose à ses employés un Hackathon (un concours de programmation –privé ou public- dont le but est de concevoir sur une durée limitée une première ébauche opérationnelle d’un nouveau produit) de deux semaines, il sait que la Vision d’Odeo est la bonne : permettre à tout le monde de communiquer et d’échanger librement et simplement des informations. Mais Odeo est à bout de souffle, et les perspectives peu florissantes. Quand Jack Dorsey et Biz Stone proposent ce qui deviendra Twitter lors de ce Hackathon, les réactions sont timides. Pourtant, Evan Williams décide de « pivoter » et en 2007 les 7 employés de ce qui était Odeo travaillent sur Twitter. Leur Vision reste inchangée, permettre à toutes les informations, sans en juger le contenu, d’être échangées librement sur tous les canaux digitaux.

Jack Dorsey et Biz Stone, fondateurs de Twitter
Jack Dorsey et Biz Stone, fondateurs de Twitter

La stratégie a changé (le fameux pivot) et de nombreux événements (la conférence SXSWI à Austin en mars 2007, le tremblement de terre en Californie cette même année, l’étudiant américain arrêté pendant les protestations en Egypte en avril 2008, le printemps arabe en 2010..) viendront surprendre les fondateurs de l’usage fait de leur produit et les obliger à l’améliorer continuellement. Il est loin l’outil qui ne devait servir qu’à modifier son statut de messagerie instantanée pour informer nos amis de ce que l’on fait. Et les 140 caractères (originellement les deux fois 80 caractères d’un SMS moins 20 caractères réservés au nom de l’expéditeur) sont désormais un mode de communication à part entière, grâce à une persévérance et une ambition portées par la Vision originelle de Biz Stone et Jack Dorsey.

Aujourd’hui, face aux premiers retours souvent cruels de leur marché, de nombreux entrepreneurs sans réelle Vision se laissent abuser par les sirènes de prés plus verts : « nos résultats nous montrent que nos utilisateurs préféreraient un produit qui fasse ceci ». Ils recommencent alors, jusqu’au prochain obstacle qui les verra encore changer leur fusil d’épaule. En l’absence de Vision, ils sont perdus, et ne savent pas comment utiliser les retours marchés pour progresser vers leur destination, et par facilité, se laissent embarquer par un « lazy pivot », sorte de fuite en avant, qui les voit épuiser leurs ressources –financières, humaines, sociales…- et se rapprocher d’un échec.

Lectures complémentaires :

  • Pour une discussion sur le lean startup appliqué avec Guillaume Fradet, fondateur d’Expert Council, voir ici.
  • Pour une discussion sur le “pivoting” et l’échec en innovation avec Tony Ulwick, CEO de Strategyn, lire cet article.
  • Pour un historique détaillé de la success story Twitter et des innovations qui l’ont accompagné, lire ce billet.
  • Pour une introduction à la philosophie d’Eric Ries et sa notion de “pivot”, se rendre ici.

5 commentaires

Laisser un commentaire