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“Innover ne veut pas dire créer un nouveau marché” Une conversation entre Laurent Vieille et Guillaume Villon de Benveniste


Laurent Vieille
Laurent Vieille

Innover n’est pas chose facile. Parmi les nombreuses difficultés qui se posent à l’innovateur, il y a celle de l’estimation de marché. Les questions les plus fréquentes auxquelles il doit répondre sont : Quelle est la taille de ce nouveau marché que vous ciblez ? Et comment faites-vous pour estimer la taille d’un marché qui n’existe pas encore ?

Voici des sujets que j’ai évoqué récemment lorsque j’ai rencontré Laurent Vieille, CTO chez Jade-i, une Startup française.

 

 

I/ Présentation de Laurent Vieille

Laurent Vieille a évolué dans la recherche et développement, et puis, ensuite dans l’innovation,. Il a travaillé pour de nombreux grands groupes, parmi lesquels Bull, Schlumberger, Gemalto. Plus récemment, il a travaillé pour l’ANR (Agence Nationale de Recherche) où il a géré 4 milliards d’euros d’investissement dans l’innovation. Aujourd’hui, il a investi dans Jade-i, une start-up et il l’aide à se développer, en qualité de CTO et de directeur produit.

 

 

II/ Pour valoriser un marché d’innovation, les Directeurs d’Innovation ont recours à la prospective, mais ce n’est pas toujours pertinent

  • Comment pouvez-vous garantir que cette innovation que vous souhaitez lancer sur le marché va réellement rencontrer une demande ?
  • Et surtout, alors même que les habitudes humaines sont tenaces, que les consommateurs préfèrent toujours continuer à utiliser ce qu’ils connaissent déjà plutôt que ce qu’ils ne connaissent pas encore, comment pouvez-vous nous assurer que vous allez parvenir, effectivement, à créer un nouveau marché ?

Voici, des questions auxquelles les Directeurs et les Vice-Présidents d’innovation sont très souvent confrontés. Voulant rassurer le Directeur Général et le Directeur Financier ou même quelques actionnaires, ils se lancent dans des travaux de prospective. Alors :

  • Ils imaginent à quoi pourrait ressembler la France d’ici 5 ou 15 ans et, au-delà,
  • Ils cherche à construire une vision des marchés cibles
  • De là, ils ont recours à différents scénarios auquel ils assignent différentes probabilités
  • Puis, il retiennent le scénario d’avenir qui fait consensus
  • De ce scénario d’avenir, ils dessinent les contours de la future demande du marché

 

Le futur
Le futur

Seulement voilà, en procédant ainsi, ils font fausse route. Car, ils ne devraient jamais accepter que le marché n’existe pas encore. Ils ne devraient jamais accepter l’idée même que créer un nouveau produit c’est créer un nouveau marché. Voici, en quelques lignes, la conviction que Laurent Vieille et moi partageons.

III/ C’est une erreur de penser que l’innovation crée un marché

Lorsque l’on dit que le marché d’innovation est un marché qui existe déjà, qui n’a pas besoin d’être créé, que veut-on dire ? A l’évidence, le produit innovant qui cible ce marché d’innovation, lui, n’existe pas. Et, la confusion que font beaucoup de Directions Générales en matière d’innovation, consiste à croire que le produit innovant va créer son propre marché.

 

  • Ainsi, a-t-on dit que lorsque Toyota a mis sur le marché sa voiture hybride, l’entreprise a créé un nouveau segment marché, celui des voitures hybrides
  • De la même manière, lorsque Nintendo a créé sa console Wii, beaucoup d’analystes ont estimé que l’entreprise a créé un nouveau marché dans le domaine des consoles
  • Enfin, lorsque Apple a créé l’iPad beaucoup ont pu dire que Apple avait créé un nouveau marché, celui des tablettes

 

Le problème de cette vision des choses, c’est qu’elle associe le produit au marché ; cette vision des choses consiste à dire que le produit, c’est le marché.

 

Or, les consommateurs n’ont jamais cherché à acheter un produit en tant que tel ; ce que les consommateurs achètent, ce sont les bénéfices qu’ils vont retirer des produits, et non les produits eux-mêmes. Peut-être objecterez-vous que je joue-là sur les mots ? Mais, ce n’est pas le cas.

 

IV/ Les consommateurs ne sont pas acheteurs de produits, mais acheteurs de bénéfices

Si les consommateurs étaient véritablement des acheteurs du produit et non les bénéfices du produit, alors, les consommateurs continueraient à acheter des carrosses et des chevaux pour les tirer plutôt que des voitures.

  • Lorsqu’il y a 150 ans, le particulier achetait un carrosse et un cheval pour le tirer, ce qu’il achetait, c’était avant tout un moyen de transport et non le produit en tant que tel.
  • Lorsqu’un nouveau produit permet d’améliorer le transport alors les consommateurs se tournent vers ce produit.

V/ Innover ne veut pas dire créer un nouveau marché

De là, nous tirons la conclusion qu’un marché innovation n’est en aucun cas assimilable à un produit d’innovation. Car, avec les évolutions technologiques, les produits changent, et, pourtant, le besoin du client reste le même. Dans le cas du carrosse et des chevaux, le besoin est le transport. Celui-ci peut être satisfait par la voiture, le train, le bus, par exemple.

 

Alors, si l’on dit que le marché d’innovation, ce n’est pas le produit innovant, en quoi consiste le marché d’innovation ? Voici une question que Laurent et moi avons abordés dans un autre échange.

 

Lectures complémentaires

  • Pour une définition de l’innovation de marché, par opposition à d’autres types d’innovations telles que l’innovation de l’offre, des processus et de la valeur, veuillez-vous référer ici
  • Pour un exemple de valorisation de marché appliqué à la biotech, veuillez-vous référer ici
  • Pour un définition de ce qu’est un marché d’innovation, veuillez-vous reporter ici

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