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Réussir l’innovation reste un défi pour les grandes entreprises (2/4)


Aujourd’hui, les grandes entreprises, confrontées à la concurrence des économies émergentes, doivent, d’après Louis Gallois, monter en gamme pour préserver leurs marges. La montée en gamme demande à innover, à l’image d’EADS qui conçoit, produit et commercialise des nouveaux avions tels que l’A380. Pourtant, la plupart des entreprises peinent à innover. Parmi les raisons évoquées, on cite des éléments de circonstances liés au marché et/ou aux consommateurs. Mais, ce ne sont pas les vraies raisons. Si les grands groupes peinent à innover, c’est parce qu’elles ne savent pas comment innover. Voici pourquoi.

Courtesy of Market Industream

I/ Si les grands groupes ont tant de difficultés à développer des innovations qui trouvent un marché, c’est parce qu’ils s’appuient sur une méthode d’innovation défaillante: les études consommateurs.

You can’t just ask customers what they want and then try to give that to them. By the time you get it built, they’ll want something new.
Steve Jobs, 1989

Entre 1960 et 1980, Sony a beaucoup innové sans avoir recours à des études consommateurs. D’ailleurs, Akio Morita, PDG de Sony, disait souvent :

Nous ne demandons pas aux consommateurs ce qu’ils veulent. Ils ne le savent pas. Nous utilisons notre énergie pour savoir ce dont ils ont besoin et ce dont ils auront envie et nous nous assurons d’être là, prêt.

Ils ont conçu le premier transistor radio portable, la première télévision en couleur, ainsi le Walkman, dont des études consommateurs avaient prédit qu’il ne trouverait pas de marché… Quoiqu’il en soit, après des changements d’organisation interne, l’entreprise a commencé à utiliser des études consommateurs. Résultat : elle perdu sa capacité à mettre sur le marché des innovations de rupture que les consommateurs achètent.

Depuis, elle poursuit depuis une stratégie de montée en gamme, mais ne propose plus d’innovation de rupture. Elle perd des parts de marché notamment lorsqu’une innovation de rupture vient concurrencer ses produits. Ainsi, le walkman a disparu, au profit des iPod, la radio portable a disparu au profit des Smartphones et des tablettes et, enfin, les télévisions de couleurs cathodiques ont disparu au profit d’écrans plats où Sony n’est plus leader. A chaque fois, Sony était leader sur son marché. Et pourtant, à chaque fois, elle perdu sa place de leader. Les études consommateurs n’aident ni à maintenir ses positions concurrentielles, ni à concevoir des innovations rentables.

De la même façon, dans les années 90, Apple, sous l’impulsion de John Sculley, son PDG, a conçu le Newton, un « message pad ». Formé chez PepsiCo, John Sculley s’est beaucoup appuyé sur des études de marché et des études consommateurs. Pourtant, après des millions de dollars dépensés en études consommateurs et plusieurs dizaines de millions de dollars investis dans des partenariats avec des leaders de la High-Tech, tels que HP, Apple a retiré ce produit du marché à la fin des années 90.

Enfin, Coca-Cola a dépensé plus de 300 millions de dollars en étude de marché, afin d’optimiser le goût de sa boisson et créer un nouveau Coca : New Coke. Il s’agit du plus gros investissement dans les études consommateurs réalisé au cours du 20ème siècle. On pourrait s’attendre à ce qu’un tel investissement donne lieu à une innovation qui crée plusieurs centaines de millions de dollars de profit. Mais, il n’en fut rien. Lorsque Coca-Cola a mis sur le marché la nouvelle recette, les consommateurs ont rechigné à acheter le nouveau produit. Le nouveau produit a donc été retiré du marché. Perte: coûts des études consommateurs + coûts des campagnes marketing = plus de 4 millions de dollars.

II/ Les études consommateurs n’aident pas à innover

Ces exemples montrent que :

  • les études consommateurs n’aident pas les grandes entreprises à concevoir des innovations qui trouveront leurs marchés
  • les études consommateurs ne permettent pas de valider le potentiel commercial d’une innovation

Pourtant, aujourd’hui, beaucoup de grandes entreprises de grande consommation, ainsi que des grandes entreprises technologiques ont recours à des études consommateurs d’une façon ou d’une autre durant le processus d’innovation. Malheureusement, ce faisant, elles augmentent leurs risques d’échecs plutôt que de le minimiser. Autrement dit, ce qui est en cause c’est notre système d’innovation. Si les grandes entreprises ne parviennent pas à innover, c’est parce que leurs approches de l’innovation est faussée. C’est pourquoi, dans un prochain billet, je présenterai une méthodologie pour mettre sur le marché des produits innovants que les consommateurs sont prêts à acheter.

Dans l’immédiat, que pensez-vous de l’utilisation des études consommateurs dans le processus d’innovation ? Pensez-vous qu’elles sont utiles ? Si oui, comment ?

 

Lectures complémentaires:

  • Pour une description précise de l’échec du produit Newton d’Apple, veuillez-vous référer à Clayton Christensen, The Innovator’s Dilemma, Chapitre 6
  • Pour une discussion des raisons de l’échec du « New Coke », notamment dans l’utilisation des études consommateurs, veuillez-vous référer à Anne B. Fisher «Coke’s Brand Loyalty Lesson», Fortune, August5, 1985 pp.44-46

© Guillaume Villon de Benveniste – @GVillondeBen

5 commentaires

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  • Marc

    Salut Guillaume,

    Ton analyse est vraie. Mais lancer et innover est dure. Beaucoup d’investissement et peu de chances de reussite et souvent ca prend du temps. Les entreprises classiques sont tres bonnes en process. Que ce soit une grande entreprise ou une startup c’est plus facile de proposer aux clients des evolutions des produits existants ou des proches des produits classiques car c’est moins risque en terme d’investissement et de reussite et c’est la force des grandes entreprises.

    Le but d’une entreprise n’est pas d’innover tous les jours mais de se developper en terme de chiffre d’affaire et profit.

    La seule structure adapte a l’innovation est la startup dans le concept, la structure et l’esprit avec si possible un retour d’experience reussi.

    • Guillaume Villon de Benveniste Auteur de l’article

      Bonjour Marc,

      Merci pour ton commentaire. Oui, effectivement, il est difficile pour des grands groupes d’innover, notamment parce qu’ils sont davantage tournés vers l’excellence opérationnelle, vers l’optimisation de process que vers l’innovation. Il est vrai par ailleurs que l’innovation demande un investissement en temps et CAPEX considérable et que le R.O.I demeure incertain, si bien qu’innover dans un grand groupe, c’est prendre un risque pour sa carrière.

      On trouve néanmoins quelques entreprises qui sont parvenus à innover. IBM, par exemple, était, à la fin des années 70 un des grands acteurs des unités centrales (“mainframe”). Il s’agissait de gros ordinateurs qui prenaient la place d’une pièce entière. Lorsque les PC sont advenus, ils ont créé une nouvelle organisation (une “spin-off”) dont la vocation était de développer le business des PC. Grâce à cette innovation, ils sont devenus leader du PC.

      A bientôt,

      Guillaume

  • Bonjour,

    Si l’on concentre la discution sur les enquêtes consommateurs, je pense que le problème ne vient pas du fait de faire des enquêtes, mais plutôt des modalités de celles-ci.

    L’innovation requiert des itérations très rapides qui ne sont pas faisables dans le cadres d’enquêtes à grande échelle.
    A mon avis, ces enquêtes deviennent intéressantes lorsqu’elles sont beaucoup plus courtes et focalisés : focus groupe, tests de concepts etc… Ces méthodes doivent apporter des réponses à chaque itérations, et pas attendre la fin du prototypage pour dire si oui ou non le produit présente de l’intérêt.

    Boris.

    • Guillaume Villon de Benveniste Auteur de l’article

      Bonjour Boris,

      Je vous remercie pour votre commentaire.

      Votre commentaire soulève deux questions: celle du recours au focus groupe et celle du recours au prototypage rapide (“rough prototyping”)

      Je partage tout à fait votre constat sur les modalités du prototypage rapide. Il est préférable, en effet, d’itérer un maximum à différents stades du processus d’innovation, pour limiter le risque d’erreurs.

      Mais, il faut néanmoins se poser la question de ce qu’on attend des focus groupe. Si l’on demande aux consommateurs de donner un retour sur un prototype d’un nouveau produit, cela peut fonctionner. Mais, le recours au focus groupe ne marche pas si l’on attend des consommateurs qu’ils trouvent le prochain concept de nouveau produit.

      Donc, il faut avoir des attentes réalistes vis-à-vis des focus groupe. Or très souvent, ce n’est pas le cas.

      Qu’en pensez-vous?

      Guillaume