Comment constituer le conseil d’administration pour que celui-ci aide l’entreprise à innover ? Voici une question que Jean-Christophe Vidal et moi-même avons évoquée au cours d’une discussion récente.
I/ Présentation de Jean-Christophe Vidal
Directeur général d’associations depuis 5 ans, Jean-Christophe Vidal est administrateur d’entreprises depuis 2005. Spécialiste des questions financières, il leur apporte ses capacités à analyser et transformer leurs business models, élaborer des plans de développement ainsi que son expérience des comités d’audit. Il est l’un des fondateurs du Certificat Administrateur de Sociétés à Sciences Po en partenariat avec l’Institut Français des Administrateurs et enseigne la gouvernance financière et la stratégie depuis 10 ans.
II/ Les organes de gouvernance
Il existe principalement deux organes de gouvernance : le conseil d’administration et le conseil de surveillance. Les structures dites duales, avec conseil de surveillance, sont plus rares et exigent de nommer un directoire qui gère l’entreprise, auquel s’ajoute le comité exécutif. Une précision importante : on ne peut pas être à la fois membre du conseil et du directoire.
Le conseil d’administration s’appuie sur le comité exécutif. En France, très souvent, les entreprises ont à leur tête un PDG qui cumule donc une fonction exécutive de directeur général avec la présidence du conseil d’administration. On voit donc que le conseil d’administration accepte les membres exécutifs, à la différence du conseil de surveillance.
III/ Le conseil de surveillance et le conseil d’administration : pour faire quoi ?
Ces deux organes de gouvernance répondent à un triple objectif :
- D’une part, il s’agit de définir la stratégie de l’entreprise et de contrôler sa mise en œuvre.
- D’autre part, il s’agit de superviser les finances de l’entreprise et d’arrêter les comptes (même si pour les sociétés à conseil de surveillance, c’est le directoire qui arrête les comptes quand le conseil contrôle cet arrêté).
- Enfin, il s’agit de contrôler l’audit interne, ce qui implique de s’assurer que le mode de fonctionnement interne de l’entreprise est respecté en termes de procédures, de normes, et de règles.
La gouvernance vise donc en premier lieu à contrôler la gestion de l’entreprise mais aussi à assurer sa pérennité. Elle sécurise le présent et prépare l’avenir.
IV/ Et l’innovation dans tout ça ?
Comme les organes de gouvernance doivent définir la stratégie, alors, nécessairement, l’innovation doit être au cœur de la préoccupation du conseil. En particulier, les administrateurs doivent connaître le secteur de l’entreprise, sans pour autant faire nécessairement partie de cette entreprise.
Et puis, il leur est impossible d’être administrateurs chez leurs concurrents directs. Ainsi, un membre du conseil d’administration de Renault ne peut pas l’être également chez PSA, sinon il y aurait conflit d’intérêt. Pour autant, il est indispensable que les membres du conseil d’administration connaissent le secteur de l’entreprise. Pour cette raison, obtenir l’information sectorielle reste déterminant. Aujourd’hui par exemple on peut imaginer que beaucoup de membres du conseil de surveillance de PSA suivent Tesla, voire même Space X et d’autres industriels dont les actions de R&D sont susceptibles d’impacter l’automobile, pour identifier des pistes d’innovation.
Pour autant, placer l’innovation au cœur des préoccupations des administrateurs n’est pas naturel. Déjà parce que les administrateurs ont pour mission historique de contrôler plus que de préparer l’avenir. Ensuite, comme le souligne Kevin Levillain dans son ouvrage sur L’entreprise à mission, parce que des initiatives comme la promotion de la RSE, censée favoriser l’émergence d’innovations et de création de valeur durable, n’a pas empêché des scandales, y compris parmi les champions de la RSE. L’entreprise à mission vise donc à retrouver le sens du projet collectif de l’entreprise. C’est ce sens du projet collectif que les administrateurs doivent défendre. Et à la lecture de l’article de Laurence Boisseau des Echos, la définition de la raison d’être de l’entreprise sont des enjeux des assemblées générales de cette année.
V/ Comment faire prospérer l’innovation si on est membre du conseil d’administration ?
La difficulté provient de ce que la signification de ce qu’est une innovation demeure floue. Or d’autres enjeux comme la vérification des comptes ou l’audit des risques paraissent plus techniques et concrets. Par conséquent, selon Jean-Christophe, le mieux consiste à organiser un séminaire du conseil dont l’objectif est d’évoquer les enjeux d’innovation en tant que tels. Autrement dit, traiter de l’innovation implique de provoquer la discussion sur ce sujet. Et pas seulement entre administrateurs : ce séminaire est l’occasion de faire venir non seulement des personnes de la R&D de l’entreprise mais aussi d’autres industriels ou des conférenciers pour éclairer le conseil sur les axes d’innovation. Bref, rassembler les personnes qui peuvent rendre les innovations tangibles.
La composition du conseil d’administration est également révélatrice. Ainsi, Jean-Christophe m’a parlé de celui d’Orange qui est constituée du PDG, de quatre administrateurs internes représentants le personnel, et de 7 administrateurs indépendants soit 50% des administrateurs. Cette diversité de profils assure une hybridation intellectuelle qui devrait créer les meilleures conditions pour l’innovation.
VI/ L’analyse comparée de l’allocation du temps
Jean-Christophe et moi avons également parlé d’une analyse comparée de l’allocation du temps entre Sony et Apple réalisés par un professeur d’une université de Corée du Sud au début des années 2000, Sea-Jin Chang, auteur de Sony vs Samsung : The Inside Story of the Electronics Giants’ Battle For Global Supremacy, (John Wiley & Sons Asia, 2008).
Au tournant du dernier siècle, Sony s’est engagé dans une vaste politique d’optimisation des coûts. Par conséquent, le comité exécutif passe l’essentiel de son temps à identifier des sources d’économie sans chercher à moderniser l’offre produit. Pourtant, au même moment, la digitalisation de la musique et l’avènement de l’iPod changent complètement l’industrie musicale au point que le walkman de Sony n’est pas pertinent. Certes, l’entreprise japonaise peut se targuer de fabriquer des walkmans pour moins chers. Mais ces produits ne semblent plus au goût du jour. Sous la houlette de son fondateur Steve Jobs, Apple s’est engagé dans une vaste politique d’innovation. Le comité exécutif passe l’essentiel de son temps — près de 80 % — à discuter de nouveaux produits. Et c’est de ces discussions-là que naquirent notamment les iPod, iPhone, MacBook Air et iPad.
Jean-Christophe m’a dit que l’allocation du temps du comité exécutif est déterminante puisque c’est le comité exécutif qui nourrit le conseil d’administration à la fois en termes de sujets de discussion et de priorité. Et il est essentiel que l’innovation corresponde à ce qu’attend la direction des ventes de l’entreprise, comme le notait Jean-Christophe Saunière, fondateur de Connected Future et ancien Associé innovation chez PWC. Mais, de manière générale, le conseil d’administration éprouve des difficultés à matérialiser l’innovation lorsque celle-ci ne s’incarne pas en de nouveaux produits. Car très souvent, l’innovation peut prendre la forme de services mais celui-ci est moins tangible que ne peut l’être le produit.
Ainsi, le groupe de travail de l’IFA (l’Institut français des administrateurs, présidé par Denis Terrien et dirigé par François Bouvard, est la référence en matière de gouvernance en France) sur la prise en compte des enjeux climatiques par les administrateurs, présidé par Françoise Malrieu, notait que le changement climatique n’est qu’un risque parmi d’autres pour 47% des entreprises interrogées. Cela montre que lorsque l’enjeu n’impacte pas directement les produits et les ventes, l’incitation à innover est faible.
Le conseil d’administration et l’innovation
En résumé : comment le conseil d’administration peut-il accompagner au mieux l’innovation, laquelle a besoin de se projeter à moyen terme alors même que celui-ci est pris dans un jeu de contraintes constituées à la fois de reporting boursier et d’un objectif de rendement à court terme ?
Selon Jean-Christophe, la première réponse tient à la composition du Conseil. La diversité de ses membres est en effet de nature à favoriser l’innovation et l’échange original d’idées nouvelles. Par la suite, le Conseil d’administration doit s’acquitter de ses missions premières — contrôle des comptes et procédures — tout en se dégageant du temps dédié à l’innovation.
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