Quelles innovations bouleversent les acteurs établis de l’espace ? La question en tant que telle peut surprendre. Pour ma part, je croyais que l’économie de l’espace demeurait à l’abri des disruptions digitales du fait de la puissance des acteurs établis. Mais, une discussion avec Damien Garot, fondateur de Jansky Partners, m’a amené à une conclusion différente. Il m’a notamment indiqué que de multiples disruptions sont à l’oeuvre dans l’économie de l’Espace. Il s’agit de ce qu’on appelle le “new space”.
Une brève histoire de l’économie spatiale
Depuis Spoutnik en 1957, l’économie de l’espace est une affaire de grand gouvernement. Au cours de la guerre froide, on assiste principalement à l’affrontement entre l’URSS et les États-Unis. Les Soviétiques sont les premiers à accéder à l’espace ; les Capitalistes, les premiers à alunir. L’intensité capitalistique des activités spatiales créent des barrières à l’entrée. Le secteur est à l’abri des acteurs privés. Les grandes nations européennes sont d’ailleurs contraintes de se coordonner pour parvenir à créer une industrie spatiale conséquente.
À partir des années 80, l’économie spatiale n’est plus simplement une affaire militaire mais devient aussi un enjeu commercial comme en témoigne l’émergence de la télévision par satellite et le GPS américain. Au total, le marché spatial s’établit à 350 milliards de dollars par an dont 100 milliards sont générés par la télévision par satellite.
Mais, depuis une dizaine d’années, on assiste à un ensemble de disruptions.
3 facteurs de disruption spatiale
1 : le satellite, autrefois indispensable, s’avère parfois superflu
En premier lieu, le satellite en tant que tel ne paraît pas toujours nécessaire. Aujourd’hui, la télévision par satellite est mise en concurrence avec les solutions OTT (« Over The Top »), comme Netflix
En outre, les plates-formes de haute altitude (« High Altitude Platform Stations »), apparaissent comme une technologie alternative aux satellites ; elles sont promises à un grand avenir. Au lieu d’être à 36000 km d’altitude comme les satellites géostationnaires, elles sont situées entre 20 km et 60km d’altitude. D’où, une latence bien inférieure à celle des satellites et proche de celle des réseaux terrestres comme la fibre et la 4G.
Pour le dire différemment : les satellites géostationnaires, du fait de leur positionnement lointain à 36000 km d’altitude, fournissent un signal Internet qui est légèrement différé. À l’inverse, les plates-formes à haute altitude émettent un signal qui est beaucoup plus rapidement reçu par le consommateur parce qu’il se situe à proximité de l’émetteur. Autrement dit, avec l’émergence des plates-formes à haute altitude et des constellations LEO, tout un pan de l’industrie des satellites géostationnaires ne paraît plus nécessaire.
Bon nombre d’industriels s’intéressent donc à ces nouveaux outils : Google, Thalès et Airbus parmi d’autres. La démarche de Loon paraît particulièrement novatrice. En effet, Google, avec Loon, élabore un projet d’une sophistication technologique relativement faible (parfois appelée « low tech »). L’accent est mis sur l’identification d’un vaste marché et la capacité à répondre aux besoins fonctionnels d’une multitude de clients. L’idée consiste à commencer avec une charge utile très faible tout en testant l’engin rapidement. Il s’agit d’imaginer toujours de nouvelles versions et de les perfectionner. Loon est opérationnel pour les acteurs de télécommunications au Kenya, signe que leur démarche itérative fait ses preuves. Voici donc un exemple de disruption dans l’économie de l’Espace.
2 : les coûts d’accès ont baissé
En second lieu, Space X, fondée par le talentueux Elon Musk, baisse drastiquement les coûts d’accès à l’espace. L’innovateur sud-africain désormais installé en Californie considère que l’accès à l’espace reste très onéreux en raison du prix de lancement. On est obligé d’employer, pour chaque lancement requiert une fusée particulière. Il envisage donc un procédé novateur qui permettrait de réutiliser des segment des fusées qui auraient déjà servi. Tels sont les débuts de Space X. Aujourd’hui, l’entrepreneur a relevé son pari à de nombreuses reprises, comme le montre la vidéo ci-dessous.
Une fois la prouesse technique accomplie, il reste à valider les aspects opérationnels. En clair, il faut que la réutilisation d’un premier étage (vérification, remise en état etc..) coute moins cher qu’un nouveau booster. C’est la réussite de ce défi opérationnel qui baisse les couts, et met à mal les acteurs établis du système comme Arianespace, par exemple.
3 : la télévision par satellite n’est plus un marché porteur
En troisième lieu, la télévision par satellite ne paraît plus pertinente dans la mesure où beaucoup utilisent désormais Internet pour regarder la télévision. Ainsi, on observe une perte de vitesse d’un marché historique, qui met à mal les politiques d’investissement des opérateurs de TV par satellite.
Les procédés de la disruption digitale
De manière plus générale, Damien estime que les disruptions dans l’économie de l’Espace emploie les mêmes méthodes qui ont fait son succès ailleurs :
- Miniaturisation des composants : autrefois, on fabriquait uniquement de gros satellites, avec de couteuses pièces construites spécifiquement pour l’environnement spatial. Aujourd’hui, on peut développer de plus petits engins à partir de composants provenant de l’électronique grand public ou du secteur automobile
- Décentralisation : des constellations de petits satellites qui fonctionnent en réseau vont fournir des images de la Terre plus fréquentes qu’un seul satellite volumineux
- Numérisation des processus de production : Big Data, Digital Twin, maintenance prédictive.
À titre d’exemple, le modèle économique de l’observation de la terre évolue. Autrefois, pour surveiller une base terroriste, on propose une photo de haute qualité prise par un satellite sophistiqué. Mais aujourd’hui, on accepte une photo de moindre résolution à condition qu’elle soit réalisée quotidiennement. Ces besoins esquissent une couverture différente : un réseau dense de petits satellites s’impose face aux gros engins. Par conséquent, les acteurs établis de l’espace se trouvent concurrencés par des startups du « new space ».
Des clients d’un nouveau genre précipitent la disruption digitale
Ces évolutions s’accompagnent aussi de nouveaux besoins clients. Mentionnons Jeff Bezos avec Blue Origin qui veut retourner sur la lune et construire une constellation LEO, Softbank qui porte le projet OneWeb, Facebook qui emploie le satellite pour connecter les zones reculées du monde, et bien sûr Elon Musk qui vise Mars et qui envoie ses premiers satellites pour sa constellation.
Une industrie en mutation
De manière générale, les acteurs traditionnels du monde spatial doivent comprendre que le vrai sujet, ce n’est pas la technologie, mais le marché. Du côté des startups, une évolution est également nécessaire. Beaucoup, à l’image de Planet Labs (dont le nom est désormais Planet), sont arrivés sur le marché spatial en pensant qu’ils allaient vampiriser les entreprises existantes. Mais, ces sociétés ne purent convaincre ni par les ministères de la Défense des pays européens, aussi bonne soit leur solution. C’est pourquoi, pour les startups de l’espace, le vrai sujet, c’est l’accès au marché (« Go-To-Market »). Planet s’appuie désormais sur Airbus pour rencontrer les décisionnaires européens.
Le financement des startups reste déterminant
L’enjeu des startups reste bien sûr le financement. Depuis 2015, les montants accordés aux startups spatiales ont été multipliés par sept, comme indiqué ci-dessous.
En même temps, le nombre de startups financées diminue depuis 2014.
D’où la conviction de Damien : réussir l’innovation suppose de :
- trouver des financements,
- démontrer le potentiel du marché ciblé,
- valoriser ces technologies,
Il indique notamment que les entrepreneurs les plus prometteurs choisissent des VC dont la valeur ajoutée ne se limite pas au capital. Ils recherchent avant tout l’accès à des partenaires industriels, un réseau pertinent, et même des VC qui ont une certaine autorité intellectuelle dans des problématiques industrielles précises.
Voici donc un aperçu des disruptions dans l’économie de l’Espace.
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