Dans la continuité de’interview de Louis Carles, fondateur de Maddyness, je rencontre des décideurs de l’innovation pour qu’ils me fassent part de leur opinion sur la lettre ouverte au Président de la République figurant dans l’introduction de mon second livre intitulé 1200 milliards sur la table : comment les prendre, créer des emplois, et faire de la France la Silicon Valley de 2030 (Michalon, 2018). Aujourd’hui, je vous relate un échange que j’ai eu avec Hervé Kabla.
Quel est le rôle de l’État dans l’innovation ? Pourquoi a-t-il un rôle déterminant à jouer dans l’émergence des GAFA du futur ? L’opinion commune voudrait que l’innovation ne relève pas de l’affaire de l’État. Mais, après la lecture de mon dernier livre, Hervé Kabla, m’a fait part d’une conviction différente.
Présentation d’Hervé Kabla, PDG d’Else & Bang
Auteur de livres sur le marketing digital, conférencier, professeur de marketing, Hervé dirige l’agence Else & Bang, élue Agence Digitale Corporate de l’année 2015.
Else & Bang consacre 100 % de son temps à aider ses clients à décliner leur stratégie de communication digitale et social media, à animer des communautés, à concevoir des contenus variés (texte, image, vidéo…), à gérer des campagnes de « social ads », à mettre en place des sites web efficaces, à animer leurs blogs et leurs applications.
Hervé est également l’auteur d’un blog de référence, Kablages.
L’innovation ne peut pas être seulement l’affaire du secteur privé
On voudrait nous faire penser, selon Hervé Kabla, que l’innovation ne devrait être que l’affaire des acteurs privés. Ainsi, il s’agirait de créer un écosystème d’une vingtaine de startups bénéficiant chacune d’un ticket de 200 000 €. Seulement voilà, le livre intitulé 1200 milliards sur la table : comment les prendre ? montre bien que l’ambition de l’innovation c’est 1200 milliards de dollars. Un tel montant correspond à 47 % du PIB de la France.
Il est évident que quelques États à l’image des États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie ainsi que les GAFA disposent de sommes suffisantes pour relever un défi supérieur à 1000 milliards de dollars. Voici pourquoi l’innovation est l’affaire du Président de la République.
D’ailleurs, avec The Entrepreneurial State, Marianna Mazzucato, une économiste italienne de renom montre que le meilleur innovateur, reste l’État parce qu’il est le seul à pouvoir consacrer des capitaux importants tout en prenant des risques. Contrairement à une idée largement répandue, les acteurs privés ne jouent, finalement, qu’un rôle limité. Méconnaitre la place de l’État l’incite à diminuer son investissement. Une telle approche aboutit, in fine, à freiner la croissance.
De plus, les pouvoirs publics devraient s’intéresser davantage à l’innovation parce qu’il pourrait lui-même se trouver ubérisé. Auteurs de Ubérisons l’État ! Avant que d’autres ne s’en chargent, Clément Bertholet et Laura Letourneau montrent que plusieurs activités de l’État sont désormais assurées par les GAFA. Ainsi, en cas d’incendie, ou de catastrophes naturelles, beaucoup de citoyens se réfèrent à Facebook pour déclarer leur situation.
Autrefois, une telle information provenait des services publics. Et, avec le développement de la technologie de la blockchain, la production de pièces d’identité pourrait être réalisée par des acteurs digitaux. À première vue, la substitution de l’État par les GAFA ne pose pas de problème particulier. Seulement voilà : les GAFA sont mues par la recherche du profit tandis que l’État vise avant tout à garantir les libertés fondamentales, et la pérennité de la démocratie. Si les GAFA amenaient à s’immiscer dans un nombre trop important de services publics, alors, ce qui serait en cause, c’est la survie même de notre régime politique. On le voit bien aujourd’hui avec le scandale de Cambridge analytica et l’exploitation des réseaux sociaux pour l’élection du président de Donald Trump et le référendum sur le Brexit.
La question de l’École Nationale d’Innovation
d’où, selon Hervé Kabla, la pertinence du projet de l’École Nationale d’Innovation. L’ENI vise à former des hauts fonctionnaires de l’innovation. Mais, Hervé Kabla indique que ces décisionnaires portent leur effort non pas sur le développement d’une solution mais sur l’analyse d’un problème mondialement partagé. Car l’État ambitionne de structurer la demande plutôt que de moderniser la production. Il s’agit, de manière très précise, de déceler un certain nombre d’enjeux planétaires afin d’organiser une compétition entre des fournisseurs qui les traiteraient.
Aujourd’hui, il existe une confusion majeure entre des problèmes techniques et les problèmes de marché. Très souvent, les ingénieurs français éprouvent une fascination pour le développement technologique. Mais tel n’est pas l’objet de l’innovation. Il s’agit surtout de percevoir, avant d’autres, une difficulté qui n’est pas seulement celle des classes moyennes françaises mais aussi celui des classes moyennes canadiennes, américaines, brésiliennes, chinois, italien, indien, allemand, espagnol, anglais, parmi d’autres. Ce qui manque aujourd’hui c’est l’acquisition d’une culture mondiale. Celle-ci demeure la condition pour formuler un problème qui concerne 1 milliard d’individus et non les 65 millions d’habitants que compte l’Hexagone.
D’où la pertinence de l’ENI et le rôle que l’État doit jouer dans la structuration de l’innovation.
[…] nous abordons la création de l’École Nationale d’Innovation, une sorte d’ENA dont la vocation serait de former les cadres dirigeants de l’économie […]