I/ Présentation de Laurent Papiernik, Strategic Alliances, Open Innovation Director, Chief Data Officer chez Gares et Connexions
Diplômé de Polytechnique, Laurent Papiernik a effectué une partie significative de sa carrière dans les Télécoms (SFR et Verizon) où il est à l’origine du déploiement de la fibre optique en France, avant de rejoindre SNCF Gares et Connexions. Cette branche de la SNCF exploite les 3000 gares en France, fréquentées par 10 millions de voyageurs quotidiens. L’équipe de Laurent met en œuvre une stratégie et des projets afin d’augmenter l’activité des commerces des gares, de réduire les coûts d’exploitation et d’améliorer le confort des voyageurs en leur offrant des parcours fluides et agréables.
II/ Aujourd’hui, les gares françaises accueillent plusieurs centaines de millions de voyageurs chaque année : digitaliser les gares permet d’optimiser les flux
A/ Enjeux
Les gares de France accueillent autant de gens en une semaine que l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle en un an. Donc :
- Comment gérer les passagers qui utilisent ou transitent par la gare ?
- Comment optimiser les trajets des passagers qui se déplacent à l’intérieur même de la gare ?
B/ Impression d’une discontinuité entre les gares et la ville, dont elles sont pourtant issues
La problématique de la gestion des flux s’étend à toute la ville. La gare n’est qu’un commutateur de flux. On vient en gare pour prendre un train mais on s’y rend aussi en voiture, en métro, en métro, en bus, en vélo… Chaque acteur de transport mais aussi chaque destination (le stade, le musée, le centre de congrès) constitue un maillon d’une chaîne qu’est la « Smart City ». Aujourd’hui, peu d’outils embrassent cette gestion de bout en bout ; seules quelques applications guident les citoyens dans l’espace public.
L’objectif consiste à créer davantage de continuité entre la gare et l’environnement urbain qui l’entoure, pour atténuer la discontinuité entre gare et ville. On voudrait que la ville s’invite dans la gare et que la gare s’ouvre vers la ville !
III/ Or, les JO 2024 approchent
L’arrivée des Jeux Olympiques en 2024 est une occasion unique pour fédérer les volontés et rapprocher les opérateurs d’espaces urbains (métro, gares, stades, musées, voiries, etc..). Si le dossier de 2012 portait principalement sur Paris intramuros, Paris 2024 est réparti sur toute la métropole et notamment la Seine Saint-Denis. La gestion de bout en bout des déplacements revêt un intérêt particulier pour accompagner le voyageur et assurer un transport efficace entre les divers espaces récréatifs ou de compétition.
IV/ Il faudrait pouvoir proposer dans le monde physique ce qu’on trouve quotidiennement dans le monde digital.
A/ L’exemple d’Amazon
Sur Amazon, chaque action de l’internaute, chaque clic engendre une reconfiguration de la page sous la forme de nouveaux articles ou sous la forme de propositions d’achat. Il faudrait procéder de même avec la ville connectée. Il s’agirait de prendre en compte le plus tôt possible les données collectées, afin de proposer un parcours client sur mesure pour chacun des millions de voyageurs quotidiens.
C/ C’est d’ailleurs ce que font déjà, en partie, les Hollandais et les Japonais.
En Hollande, l’équivalent de la SNCF développe une gestion des flux assez avancée, permettant de reconfigurer les gares en fonction de leur fréquentation : fermeture de quais en cas de saturation, déviation du flux de voyageurs en postant un « Uniform Officer » dont le seul but est d’attirer les touristes vers un escalator moins fréquenté, déviation des queues d’attente des cafés par affichage de la disponibilité d’un commerce moins fréquenté. Il s’agit de poursuivre des objectifs d’amélioration du confort, de la sécurité et de l’activité des commerces.
Au Japon, on optimise les flux en séparant les files de circulation en fonction de mesures de trafic pour éviter les perturbations dues aux voyageurs à contresens.
Par ailleurs, des études sensorielles montrent que la lumière modifie les comportements :
- Froide, elle incite à circuler ;
- Chaude, elle incite à se « poser ».
Il peut en être de même pour les sons et la climatisation… Un champ passionnant mêlant technologie, design sonore et lumineux reste à explorer.
D/ Mettre en place un tel dispositif suppose de passer d’une gestion statique des flux à une gestion dynamique
Notre filiale d’architecture « AREP » dispose d’une équipe spécialisée dans la gestion des flux de personnes dans les espaces publics. C’est une expertise unique que seulement quelques équipes dans le monde maîtrisent. Elle simule les espaces, les mouvements et les comportements des piétons et dimensionne les passages aux situations les plus exigeantes (évacuation d’un hall ou arrivée d’un RER par exemple). En somme, elle adapte en permanence nos gares, en créant par exemple une rampe et deux escalators pour passer du sous-sol de la Gare de Lyon à la surface, résolvant les queues et attentes qui dataient du design ancien des années 80.
Un peu comme pour les économies d’énergie, Laurent souhaite ajouter à cette gestion passive des flux une gestion active : pilotés en temps réel, il est possible de densifier les flux de voyageurs sans en subir de désagréments. Je cherche à mesurer, décider et agir sur les flux.
Plus largement cela consiste à capter les flux de voyageurs à l’aide de matériels déployés dans les gares (lidar, caméra, etc.), prédire le proche futur, présenter une situation « tactique » à la manière des systèmes de combat naval ou aérien, et proposer à l’exploitant la mise en œuvre d’actions comme le clignotement de planchers lumineux (voyez par exemple l’immense flèche « train court » sur le quai du RER D de la Gare de Lyon) ou la séparation de sens de marche dans les couloirs comme évoqué précédemment. Le tout en s’appuyant sur des outils modernes de représentation 3D comme Unity (moteur de jeu vidéo en réalité virtuelle) et de l’intelligence artificielle.
On peut également réguler les files d’attente et flux de taxis sur un ensemble de gares rapprochées (Bercy, Lyon, Austerlitz).
Le même système pourrait aussi intégrer l’état de marche ou de fragilité des organes de la gare (comme ses escalators) pour piloter, non plus les flux, mais la maintenance de celles-ci.
E/ Il s’agit en outre de traiter des enjeux de l’instant
Je veux aller au-delà de la vision froide que propose l’open data ou le big data : non plus trouver des corrélations ou des patterns de trafic, mais mixer le passé et le présent pour en fabriquer une vision réaliste de l’avenir proche. Et agir maintenant ! C’est de cette façon que la prédiction citée auparavant pourra décider de l’action la plus appropriée : retourner le sens de marche d’un escalator, dépêcher des agents, dévier le trafic dès l’entrée de la gare, orienter les taxis, etc.
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