La réalité virtuelle et la réalité augmentée font partie des technologies les plus prometteuses de notre époque. À Vivatech 2017, la réalité virtuelle, avec l’intelligence artificielle, s’est imposé comme l’un des « buzzword » les plus courants. La valeur totale des cas d’usage spécifique à la réalité virtuelle est de l’ordre de 80 $ milliards de dollars d’ici 2025, selon le scénario mitoyen (« base case ») de la banque d’investissement Goldman Sachs. Par ailleurs, Partech Ventures, une entreprise de capital risque franco-américaine, vient de clore une levée de fonds de 400 millions d’euros afin des financer des startups de réalité virtuelle. Quels sont les cas d’usage de la réalité virtuelle dans le secteur de l’énergie ? Comment la réalité virtuelle participe-t-elle aux efforts de maintenance du parc électronucléaire français ? Voici quelques questions que Hadrien Leroyer et moi-même avons évoquées au cours d’un entretien récent.
Présentation d’Hadrien Leroyer
Diplômé de l’École Polytechnique, Hadrien est en charge de l’équipe de réalité virtuelle et la visualisation scientifique au sein de la R&D chez EDF, après avoir exercé des responsabilités dans le développement d’outil de simulation numérique pour les centrales nucléaires.
La maintenance des parcs nucléaires : un enjeu en milliards d’euros
Entre 2006 et 2011, le parc des réacteurs nucléaires français affiche de « mauvaises performances tant en termes de disponibilité qu’en termes de résultats pour l’entreprise », selon la Cour des Comptes.
En 2013, la perte de production due à la prolongation des arrêts de tranche a pu ainsi être estimée à près de 800 millions d’euros. La Cour des Comptes note que ces contre-performances sont dues à la fois à l’âge moyen des réacteurs qui atteint 30 ans ainsi qu’à cause de certains sous-investissements en matière de maintenance.
L’investissement en matière de maintenance a considérablement augmenté jusqu’à atteindre 4,4 milliards d’euros en 2013. Ces investissements sont réalisés dans le cadre du Grand Carénage. Il s’agit d’une opération de 55 milliards d’euros visant à rénover l’ensemble du parc électronucléaire français d’ici 2025.
L’augmentation de l’investissement en matière de maintenance a permis effectivement d’améliorer les performances des réacteurs nucléaires.
Premier indicateur de l’amélioration de la qualité de la maintenance : le coefficient de disponibilité
Le premier indicateur de l’amélioration reste la capacité des réacteurs à produire de l’électricité. Le coefficient de disponibilité — c’est-à-dire le pourcentage de l’énergie maximum qui pourrait être produite si les capacités installées fonctionnaient toute l’année — a cessé de se dégrader depuis peu. Il se maintient au-dessus de 78 %. Ce coefficient de disponibilité a dépassé les 80 % en 2014. Une performance « honorable » même si elle reste inférieure aux 83,6 % atteints en 2006, selon la Cour des Comptes.
Deuxième indicateur de l’amélioration de la qualité de la maintenance : le coefficient d’indisponibilité
D’autre part le coefficient d’indisponibilité, c’est-à-dire les arrêts fortuits sur des installations, continue de baisser. Celui-ci est passé de 5,2 % en 2010 à 2,4 % en 2014.
Pour information, les enjeux de chiffres d’affaires demeurent très importants : une augmentation du taux de disponibilité des réacteurs de 2 % représente la production annuelle d’un réacteur 1300 MWe et un chiffre d’affaires potentiels de près de 340 millions d’euros sur le marché intérieur et à l’exportation, selon la Cour des Comptes.
Troisième indicateur de l’amélioration de la qualité de la maintenance : la sûreté des opérateurs
Parmi les facteurs de la sûreté nucléaire on peut citer notamment l’exposition individuelle aux rayonnements ionisants ce qu’on appelle la « dosimétrie individuelle ». Il s’agit du principal indicateur de la capacité d’EDF à garantir la sécurité des travailleurs intervenant en zone exposée.
La réalité virtuelle chez EDF
Au lecteur qui n’est pas familier avec les problématiques opérationnelles propres aux centrales nucléaires, il faut rappeler que certaines zones d’une centrale nucléaire sont inaccessibles en fonctionnement de la centrale, notamment le bâtiment réacteur, rendant difficile la préparation des opérations de maintenance à l’échelle du parc.
De quelle manière la réalité virtuelle permet-elle d’optimiser la maintenance des centrales nucléaires ?
La numérisation de l’infrastructure
La R&D d’EDF a numérisé l’intégralité du bâtiment réacteur d’une centrale pilote, Cattenom. Cette maquette numérique « telle-que-construite » comprend des plans, des photographies panoramiques haute définition, ainsi que des scans laser qui ont permis de reconstruire la géométrie 3D de l’installation.
La simulation des opérations de maintenance
Une fois cette maquette numérique constituée, plusieurs applicatifs peuvent être développés, pour améliorer les processus de maintenance en place. L’un d’eux, VVProPrépa, sort de « Google Street Views » du bâtiment réacteur nucléaire, permet à un utilisateur de naviguer librement dans les plans, photographies et 3D du bâtiment réacteur. Des fonctionnalités d’annotation et d’export lui permettent de préparer toute la logistique et la coordination dont il aura besoin pour la réalisation de l’opération de maintenance dont il est responsable. Par exemple, l’utilisateur peut se déplacer en allant d’un point photographié à un autre point photographié. Les photos à haute résolution permettent ensuite de « zoomer » sur une multitude d’équipements. Les photos sont si précises que l’on parvient sans peine à distinguer tout objet ou toute inscription d’un objet de quelques centimètres. Ainsi, la distance à laquelle les étiquettes des équipements peuvent être lues dans l’application est de 5 mètres.
Le déplacement en réalité virtuelle au sein de la centrale s’effectue de façon horizontale comme de manière verticale. En cliquant sur une photo prise à un autre étage, le navigateur se retrouve ainsi à un autre étage de la centrale. Ce dispositif de réalité virtuelle est accessible sur des ordinateurs portables pour les chargés d’affaire, mais également à partir de bornes qui sont situées sur le site de la centrale nucléaire.
Les opérateurs ont donc le temps de prendre connaissance des lieux avant leurs interventions, afin de maximiser l’efficacité de leurs actions une fois qu’ils pénètrent in situ. La répétition d’activités de maintenance permet en outre à un ensemble d’opérateurs de mener une action plus synchronisée et plus efficace.
Voilà donc un cas d’usage de la réalité virtuelle pour la maintenance de l’appareil production dans le secteur nucléaire.
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