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Culture d’innovation comparée : Chine, Silicon Valley et France — 2/2


Drapeau français

 

Quels sont les traits caractéristiques de la culture d’innovation française ? En quoi la culture innovation de l’Hexagone diffère-t-elle de la culture d’innovation américaine ou de la culture d’innovation chinoise ? Voici quelques-unes des questions que Jean-Marc et moi avons évoquées au cours d’une discussion récente. Jean-Marc, professeur de l’École Centrale de Paris et de l’École Centrale de Pékin, m’a indiqué que trois éléments la culture d’innovation chinoise : la primauté du groupe sur l’individu, la place du chef et la rigueur dans la réalisation du projet d’innovation.

 

I/ Culture d’innovation comparée: la culture d’innovation française

Drapeau françaisEnsuite, Jean-Marc et moi avons parlé de la culture d’innovation en France. Plusieurs éléments sont apparus :

  • D’une part, la France, marquée par son héritage cartésien exacerbe le sujet pensant. Influencée aussi par le romantisme et la figure du créatif, on ne parvient pas à dissocier la création du créateur, l’innovation de l’innovateur. En réalité, les étudiants français entrent spontanément en concurrence pour trouver la meilleure idée, le plus créatif jouissant d’une certaine forme de reconnaissance sociale.
  • D’autre part, à l’inverse de la culture chinoise, la discipline dans l’exécution des projets d’innovation parait moins importante. Car, une fois que l’idée d’innovation est arrêtée, on trouve toujours quelques étudiants pour travailler de façon discrète sur un autre projet concurrent, tandis qu’un autre groupe d’étudiants critiquent la décision qui a été prise. De là, un certain retard dans la réalisation des projets d’innovation.
  • Enfin, la culture française d’innovation est marquée par un fort corporatisme. Ce corporatisme présente des aspects tout à fait paradoxaux. Pour illustrer, Jean-Marc m’a parlé de l’industrie des télécoms. Dans l’industrie des télécoms, on trouve des corps d’états qui sont constitués, par exemple par des polytechniciens ayant fait leur école d’application aux Télécoms. Une fois en entreprise, les membres de ce corps soutiennent les initiatives émanant d’autres des individus appartenant au même corps que le leur. Il leur arrive ainsi de soutenir un projet non pas en raison de sa qualité intrinsèque, mais tout simplement parce qu’elle émane du corps auquel on appartient. Ainsi, paradoxalement, si, en France, on reconnaît bien volontiers les mérites individuels de l’innovateur, le collectif demeure toutefois très important. Le collectif est constitué non pas du groupe le travail auquel on appartient, mais du groupe des anciens de l’école dont on est diplômé.

L’avantage de ce corporatisme c’est l’efficacité à court terme. Ainsi, le réseau télécom français demeure aujourd’hui l’un des plus performants au monde. John Chambers, PDG de Cisco, indiquait que le réseau Télécom français fait partie des plus sophistiqués au monde. Mais en même temps, ce qui est paradoxal, c’est que ce ne sont pas des acteurs français qui se sont imposés dans les nouveaux secteurs de l’Internet que l’on appelle parfois « Over The Top » : Facebook, Twitter, LinkedIn, Google… Autrement dit, si le corporatisme permet une grande qualité d’exécution dans la réalisation d’infrastructures, il semble qu’il y ait difficultés à laisser place au nouveau.

 

D’ailleurs, Jean-Marc et moi avons évoqué le cas d’une entreprise de télécommunications. Son PDG est conscient que l’innovation produite par son entreprise affiche une réelle qualité technique, mais manque d’une qualité de design et d’une pertinence économique. Il décide de réorganiser l’innovation de l’entreprise. Chaque projet d’innovation doit désormais être porté par une équipe fonctionnelle présentant trois compétences différentes :

  • un ingénieur pour disposer de la compétence technique
  • un diplômé d’école de commerce pour la compétence de marketing et économique
  • un ergonome pour le design

 

On aurait pu croire que ce changement l’équipe allait profondément modifier les innovations fabriquées par l’entreprise, mais, contre toute attente, il n’en fut rien. En effet, seulement quelques mois après la mise en place de ces équipes fonctionnelles, les ingénieurs ont rapidement pris un certain ascendant sur leurs homologues. Pourquoi ? Peut-être parce qu’en France, du fait d’une culture d’ingénieur très forte, on parvient à former des ingénieurs de qualité en grand nombre, mais on éprouve davantage de difficultés à former des marketeurs et des designers en grand nombre. La conséquence pour l’entreprise ?

  • Les innovations qui sont issues de cette nouvelle organisation ont été remarquées par leur qualité technique.
  • Mais, elle semblait difficile à manipuler par le consommateur tandis que leur viabilité économique ne s’est pas toujours démontrée

 

IV/ Culture d’innovation comparée : la culture d’innovation dans la Silicon Valley

Silicon Valley

À l’inverse de la culture d’innovation chinoise, la culture d’innovation américaine glorifie l’innovateur en tant que tel. Des pratiques d’innovations telles que le Design Thinking de Standford en vient même à porter exclusivement sur la formation de l’innovateur plutôt que sur le processus innovation. L’idée sous-jacente c’est qu’en formant un innovateur, on parviendrait à fabriquer des innovations. D’autre part, on trouve des entreprises très innovantes qui paraissent indissociables de leur fondateur et de ceux qui ont eu l’idée de l’entreprise.

  • Apple ne serait pas Apple sans Steve Jobs
  • Facebook paraît indissociable de Mark Zuckerberg,
  • Penser à Salesforce fait automatiquement penser à Marc Benioff

Mais, à l’inverse de la culture d’innovation française, la culture d’innovation californienne donne une place très différente à l’ingénieur. Par exemple, en se reportant à la biographie de Steve Jobs, on voit très bien comment les innovations de la firme à la pomme ont été réalisées. Elles sont le fruit de décisions prises par un groupe de trois ou quatre individus dans lequel on peut notamment citer :

  • Steve Jobs chargé de l’expérience client et du modèle économique
  • John Ivy chargé du design industriel
  • Tony Fadell, ingénieur informaticien
  • Phil Schiller chargé du marketing

Ce qui est remarquable est que les décisions d’innovation d’Apple ne s’appuient que très peu sur des compétences d’ingénieur. En effet, l’essentiel des technologies nouvelles, telles que Finger Works et le Gorilla Glass sont identifiés au dehors de l’entreprise.

Le faible recours aux ingénieurs engendre parfois des dysfonctionnements techniques notoires à l’exemple du lancement de l’iPhone 4. En effet, au moment où la décision d’industrialiser l’iPhone 4 a été prise, personne ne disposait de la compétence technique pourtant élémentaire qui aurait consisté à constater que la loi de Faraday n’avait pas été respectée dans le design de l’iPhone. La conséquence pour le client ? Un dysfonctionnement de l’antenne du téléphone. On a dit de l’iPhone 4 qu’il était un formidable téléphone, mais qui ne faisait pas téléphone. En revanche, si l’ingénieur joue un rôle moins important qu’en France, des professionnels du design, de la culture du client et des modèles économiques semblent davantagé valorisés qu’en France. Le produit innovant paraît plus complet, avec une proposition de valeur plus lisible pour le client.

 

V/ Culture d’innovation comparée : la Chine, la France et les États-Unis.

En résumé :

  • En France comme aux États-Unis on ne dissocie pas innovateur de l’innovation, alors qu’en Chine l’innovation doit être portée par un groupe plutôt que par une personne
  • En France, on accorde une place centrale à l’ingénieur tandis que celui-ci n’est pas toujours partie prenante des décisions dans la culture d’innovation américaine
  • En Chine, une place centrale est accordée au chef choisi par le groupe

Depuis les 15 dernières années, la culture d’innovation américaine s’est imposée au reste du monde. Mais, au moment où l’économie chinoise s’impose désormais comme la première économie au monde et, au moment où la France a pris une certaine avance sur le marché de l’Internet des objets estimé à 500 milliards de dollars, il sera intéressant de voir quelle culture d’innovation parviendra à s’imposer dans les années à venir.

 

 

 

 

 

 

 

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  • […] Quels sont les traits caractéristiques de la culture d’innovation française ? En quoi la culture innovation de l’Hexagone diffère-t-elle de la culture d’innovation américaine ou de la culture d’innovation chinoise ? Voici quelques-unes des questions que Jean-Marc et moi avons évoquées au cours d’une discussion récente. Jean-Marc, professeur de l’École Centrale de Paris et de l’École Centrale de Pékin, m’a indiqué que trois éléments la culture d’innovation chinoise : la primauté du groupe sur l’individu, la place du chef et la rigueur dans la réalisation du projet d’innovation.  […]

  • Merci à Jean-Marc Camelin et Guillaume Villon pour ces intéressants articles sur la comparaison des cultures d’innovation entre France, Chine et USA !

    Ayant eu la chance de nombreuses occasions de travailler à des projets d’innovation impliquant des équipes dans ces pays, et aussi au Japon, en Inde, Europe de l’Ouest et du Nord, Turquie, etc. j’ai constaté en effet des variantes importantes sur les rôles relatifs du chef, de l’équipe et de l’individu, et la prépondérance entre ingénieurs et commerciaux. Ces différences culturelles sont si importantes et surprenantes qu’elles ont parfois suffi à empêcher des entreprises internationales de réussir dans des projets majeurs.

    Par exemple, quelle surprise (pour un européen) de voir un groupe d’ingénieurs japonais d’une entreprise globale totalement paralysés dans une séance de créativité, où la question “comment peut-on concevoir autrement notre produit ?” est posée : le design actuel ne pouvait être mis en question sans faire perdre la face au groupe et à son manager ! Seule solution : présenter les façons dont d’autres industriels ont conçu des produits similaires, dont les idées ont pu être immédiatement copiées et surtout améliorées par le groupe …

    Quelles que soient ces différences selon les pays, ce qui m’a surtout frappé est la difficulté chronique de faire travailler ensemble des cultures et des métiers différents en respectant leurs points de vues respectifs ! Et d’autant plus lorsqu’il s’agit d’intégrer au processus des acteurs côté clients et côté fournisseurs, pourtant indispensables pour une innovation réussie !

    L’apport des méthodes Valeur(s) m’a été toujours précieux pour dépasser ces difficultés : chacune des parties prenantes peut (doit) y exprimer son point de vue, traduit dans un language commun (‘fonctionnel’) et intégré à un référentiel commun des besoins (la ‘modélisation système’, le cahier des charges fonctionnel …) qui ne privilègie ni le technique ni le commercial mais les met en relation, et permet d’envisager collectivement de nouvelles réponses -internes ou externes- évaluées collectivement.