Voici la question qui devrait être posée demain à une conférence du G9+ à laquelle Luc Bretones m’a invité. Cette association qui regroupe un certain nombre d’écoles de commerce et d’ingénieurs propose des pistes de réflexion autour de l’innovation dans le numérique. Plusieurs participants devraient être invités, tels que Jacques Attali, Clara Gaymard, ainsi que Jérémy Rifkin qui sera présent par le moyen d’une vidéo.
Voici quelques-unes des idées qui se sont présentées à mon esprit à la lecture du thème de la conférence.
I/ La première réaction est celle de la surprise
Pourquoi est-ce que Internet devrait tuer le capitalisme ? Comment est-ce qu’un moyen de communication technique, tel qu’Internet, pourrait-il être amené a tué un système économique, tel que le capitalisme ? Et pourquoi est-ce que la mise en réseau d’une quantité importante d’ordinateurs aurait pour conséquence que d’ébranler le système capitaliste qui a su résister aux assauts répétés du communisme tout au long du XXe siècle ? Et puis, n’y a-t-il pas aussi dans la question posée, le réveil d’un vieux fantasme, encore très présent dans une partie de l’extrême gauche française, qui voudrait détruire le capitalisme ? Cette dernière question peut sembler provocante, mais il se trouve que, en Californie, le berceau mondial de l’Internet, on trouve beaucoup de mouvements politiques et sociaux qui viennent contester le capitalisme. Internet serait-il devenu leur dernier outil ?
II/ La numérisation de l’économie
Pour répondre à cette question, je ne souhaite pas m’étendre sur des grands enjeux macro-économiques ou parler de philosophie politique. Je propose tout simplement de parler d’un cas concret. Il y a une quinzaine d’années, nous étions en plein dans la bulle Internet. Il était attendu, peut-être encore davantage à l’époque qu’aujourd’hui, que toutes les entreprises soient présentes sur Internet. Et il est vrai qu’on a assisté à une numérisation de l’économie qui était considérable, notamment en raison d’investissement très conséquent en matière de réseaux télécoms. Les opérateurs télécoms des plus grandes nations industrielles ont connecté l’ensemble des zones économiques de la planète, tout en sortant de l’isolement d’autres grands pays émergents tels que l’Inde, par exemple. Et, cette connectivité plus grande a permis des communications beaucoup plus nombreuses ce qui a permis d’accentuer encore l’externalisation d’un certain nombre de fonctions à faible valeur ajoutée. Tout ceci a fait dire à Thomas Friedman, éditorialiste, que le monde est devenu plat, tant les échanges en temps réels étaient devenus ubiquitaires.
III/ Wikipédia vs Encarta de Microsoft ou la bataille entre l’innovation collaborative et l’innovation capitaliste
Et, c’est à ce moment-là qu’une bataille industrielle improbable a eu lieu : dans un contexte de numérisation de l’économie, la numérisation du savoir et plus précisément de l’encyclopédie est devenue un enjeu économique important. Elle a opposé :
- l’encyclopédie Encarta portée par Microsoft
- une encyclopédie fondée sur la collaboration de centaines de milliers de collaborateurs partout dans le monde travaillant gratuitement, Wikipédia
Ce qui étrange dans cette histoire c’est l’absence des grandes encyclopédies déjà établies, telles qu’Universalis, Britannica et The World Book.
- On aurait pu croire que l’encyclopédie Universalis, provenant d’un pays, la France, qui a été le berceau de l’Encyclopédie et qui a inventé le Minitel, allait être aux avants-postes de l’innovation.
- De la même façon, on aurait pu croire que The World Book, une encyclopédie issue des Etats-Unis, patrie de l’internet, allait également jouer un rôle de pionnier.
Mais, il n’en fut rien.
Et ce qui est encore plus étonnant, c’est tout simplement l’issue de la bataille qui a opposé Encarta à Wikipédia.
Car, alors que Wikipédia disposait de moyens parcimonieux, Microsoft a beaucoup investi dans l’équipe qui a réalisé Encarta :
- Des centaines d’experts ont été recrutés pour écrire des articles
- Une équipe commerciale a été créée pour trouver des clients et faire des ventes ; les meilleurs vendeurs étaient récompensés par des bonus
- Une équipe marketing a été mise en place pour faire la promotion du produit notamment auprès de tout un réseau de distributeurs spécialisés dans la vente de logiciels est, en outre, les équipes commerciales
Synonyme de l’investissement de Microsoft, les copies d’Encarta coûtaient des centaines de dollars. Pour résumer, Microsoft a utilisé tous les moyens que l’économie capitaliste préconise d’employer pour prendre des positions sur le marché des encyclopédies numériques.
À l’inverse, Wikipédia n’a pas investi de gros montants financiers. Et pourtant, seulement 5 ans plus tard, Wikipédia prend une avance considérable sur son concurrent, lequel dépose le bilan en 2009. De fait, Wikipédia est aujourd’hui la plus grande encyclopédie au monde. Wikipédia a commencé en fédérant les bonnes volontés de quelques personnes éparpillées sur la planète et qui avaient pour point commun
- De disposer d’un ordinateur connecté à Internet
- D’aimer écrire des articles, relire et parfois corriger les articles des autres
L’ensemble de l’encyclopédie s’est donc constituée autour du travail gratuit de bénévoles. Encore aujourd’hui, la structure managériale reste extrêmement légère. Et, Wikipédia vit avec les dons financiers de donateurs.
IV/ Wikipédia wins !
Alors, si l’on m’avait demandé : Quelle entreprise va s’imposer : Encarta de Microsoft ou Wikipédia ? Ma réponse aurait été très claire : c’est Encarta. Encarta symbolise un mode de production capitaliste, avec des récompenses selon la performance à tous les niveaux de l’entreprise et dans toutes les fonctions. Ces éléments-là sont de nature à créer les meilleurs conditions pour la motivation des équipes et, par conséquent, il m’aurait semblé logique qu’Encarta s’impose facilement contre Wikipédia.
Pourtant, aujourd’hui, le constat est sans appel : Encarta n’existe plus, puisque Microsoft a cessé cette activité en 2009. Et Wikipédia est devenu la plus grande encyclopédie de la planète avec des articles dans plus de 280 langues.
Cet exemple très simple illustre une bataille industrielle entre deux systèmes de production : le système capitaliste contre le système de l’économie collaborative augmenté des capacités de l’Internet. Et, à l’issue de cette confrontation, c’est l’économie collaborative qui s’impose face au système capitaliste. Depuis, l’innovation collaborative ne cesse de réinventer des secteurs entiers de l’économie :
- dans le secteur des transports, Uber et BlaBlaCar réinventent le transport des personnes en prenant des positions faces aux entreprises classiques
- dans le secteur de l’hôtellerie, AirBnB prend des positions dans toutes les villes du monde face aux acteurs établis
Et bientôt, grâce à l’essor des imprimantes 3D, chacun aura chez lui sa propre usine lui permettant de créer des objets à sa guise sans avoir à les acheter en magasin. C’est pourquoi il y a bien lieu de se demander si l’innovation collaborative augmentée par Internet pourrait un jour se substituer aux entreprises capitalistes, en tant que système de production de biens et de services.
Voici donc les idées qui se sont présentées à mon esprit lorsque j’ai pris connaissance de la table de ronde de G9+ . Je m’y rendrai volontiers. Et vous ?
Lectures complémentaires
- Pour une lecture qui détaille en quoi internet constitue un élément de la troisième révolution industrielle, lire cet article.
- Pour un article sur les coulisses de Wikipédia, voir ici.
- Pour un contrepoint où l’auteur se pose la question de savoir si Internet peut démocratiser le capitalisme, voir cette page de blog.
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Bonjour Guillaume,
Je ne peux que me réjouir de cet article qui parle de la montée en puissance de l’économie collaborative 🙂
A bientôt,
Raphaëlle
[…] Pour une réflexion sur l’avenir du capitalisme à l’heure d’internet, et notamment sur le rôle joué par l’économie collaborative, voir ici. […]
[…] Pour un approfondissement de la problématique de décentralisation des services via l’internet des objets, se rendre ici. […]