Voici une question que j’ai évoquée avec Michel Landry, le Président de L Tech Solution, un cabinet de conseil basé au Canada. Michel a publié notre échange* sur son blog. Il eu la gentillesse de me laisser publier notre échange également sur mon blog, en plus du sien.
Michel : Bonjour Guillaume. Merci de vous prêter volontiers à cette discussion. En premier lieu voudriez-vous nous dresser un portrait de votre environnement d’affaire immédiat et quel rôle joue l’innovation dans vos activités professionnelles en ce moment ?
Guillaume : Bonjour Michel! Je vous remercie de me recevoir sur votre blog! Je le lis souvent et avec beaucoup d’intérêt!
Mon environnement d’affaires ce sont les Directions Générales et les VP innovation du CAC 40 français. Aujourd’hui, et depuis plusieurs années maintenant, mon job, c’est de vendre des nouveaux trucs. Il s’agit de conseil en innovation, mais aussi, parfois des outils, inspirés des réseaux sociaux, qui viendraient faciliter l’innovation. Et enfin, j’ai mon blog, The Innovation and Strategy Blog, où je parle beaucoup des enjeux d’innovation.
Michel : Alors, dites-moi Guillaume, au-delà de la ‘sur-médiatisation’ du terme, comment observez-vous la courbe d’influence de l’innovation dans les réelles affaires au fil des ans, jusqu’à ce jour ? Comment les entreprises réagissent-elles face à cette pression ?
Guillaume : En réalité, pour moi l’innovation, c’est une passion. Mais, pour la plupart des dirigeants auxquels je parle, l’innovation c’est un levier de croissance. L’innovation, c’est une façon, parmi tant d’autres, de pérenniser la croissance de leurs activités, afin de rassurer les investisseurs et d’en séduire de nouveaux.
On a souvent tendance à parler des freins à l’innovation, tels que des freins culturels, par exemple. Mais pour moi, le vrai sujet, c’est de parvenir à positionner l’innovation comme étant un levier de croissance qui soit au moins aussi fiable que d’autres. Car aujourd’hui, les innovateurs l’oublient trop souvent, les dirigeants ont le choix entre plusieurs leviers de croissance, tels que:
- l’expansion géographique des activités: il s’agit de faire la même chose mais dans une géographie nouvelle, tels que les pays émergents
- l’excellence opérationnelle: il s’agit de faire la même chose, le même produit, mais en baissant les coûts de production, ce qui maximise la profitabilité
- la fusion-acquisition (qui revient à acheter l’innovation)
- et, enfin, le développement de l’innovation en interne
Maintenant, pour répondre à votre question, je pense que les dirigeants, en France en tous cas, ont eu beaucoup recours à l’expansion géographique et à l’excellence opérationnelle. Mais, aujourd’hui, je constate un renouveau d’intérêt pour l’innovation, sans doute
- parce qu’on assiste à un ralentissement de la croissance dans les BRIC
- parce que tout le monde a déjà fait de l’excellence opérationnelle
Donc, je suis plutôt optimiste pour le développement de l’innovation en France. Je crois que l’innovation a de l’avenir.
Et puis, on trouve une formidable étude de Rita Gunther McGrath, un professeur de management américain à Columbia. Elle a analysé le taux de croissance des entreprises dont la capitalisation boursière est supérieure à 1 milliard de dollars, soit, en tout, 2347 entreprises dans le monde. Et puis, elle s’est demandée: combien d’entreprises sont parvenues à pérenniser une croissance de 5% pour an pendant 10 ans? 5% de croissance par an, ce n’est quand même pas beaucoup, puisque la plupart des dirigeants doivent assurer une croissance de 10% pour séduire leurs actionnaires.
Alors, Michel, combien d’entreprises sont parvenues à assurer une croissance de 5% par an pendant 10 ans?
Eh bien seulement 10, figurez-vous!
Il n’y a que 10 entreprises disposant d’une capitalisation boursière supérieure à 1 milliard de dollars qui sont parvenues à réaliser une croissance de 5% par an pendant 10 ans. Et ce qui est d’autant plus étonnant, c’est que le point commun de ces 10 entreprises, ce n’est pas:
- d’opérer toutes dans un même marché qui serait particulièrement porteur
- d’être présentes dans une géographie en forte croissance, telle que les BRIC
- d’être des entreprises qui seraient particulièrement grandes ou petites
- d’être des entreprises particulièrement récentes, puisqu’on trouve des entreprises qui ont plus de 100 ans
Michel : alors quel est le point commun de ces entreprises?
Guillaume: le point commun, c’est l’innovation! Autrement dit, aujourd’hui, la seule façon de pérenniser une croissance de 5% par an pendant 10 ans, c’est d’innover. C’est aussi ce que dit Louis Gallois, l’ancien PDG d’Airbus et l’actuel Commissaire Général à l’innovation auprès du Premier Ministre français. Il remarque que “les marges des entreprises industrielles ont baissées de 30% à 21% en 10 ans. La seule issue, dit-il, c’est l’innovation”.
D’où ma conviction: la seule stratégie, c’est l’innovation. Aujourd’hui les dirigeants n’ont plus le choix. Ils ont déjà épuisé les autres leviers de croissance. Pour pérenniser la croissance, il n’y a qu’un chemin, l’innovation!
Michel : Très intéressant. Content de voir que vous êtes optimiste. En ces temps de profond changement sociaux et économique, ne croyez-vous pas que les entreprises devraient penser en termes de ‘pérennité d’entreprise’ plutôt qu’en termes de croissance … cela change un peu l’axe d’utilisation de l’innovation comme tel ? Je peux peut-être poser la question d’un autre angle, selon vous, est-ce que les entrepreneurs en Europe ‘utilisent’ l’innovation pour croître, pour se démarquer où pour survivre ?
Guillaume: Honnêtement, je pense que la finalité de l’innovation n’est jamais la même. Autrement dit, la raison pour laquelle l’innovation est utilisée est fonction du contexte de l’entreprise.
Une startup a recours à l’innovation pour croître. Le vrai sujet pour les startup, c’est de passer du stade d‘invention au stade d’innovation. Autrement dit, il faut passer du stade “voici un nouveau truc” au stade “voici un nouveau truc que les gens achètent”. Très souvent, les dirigeants des start-up ont une croyance inébranlable en la qualité de leurs produits …. parce qu’ils l’ont inventé. Et cet amour qu’ils ont pour leurs produits ressemblent à l’amour que Pygmalion avait pour sa création Galatée, un sujet dont j’ai beaucoup parlé, par ailleurs. Le problème, c’est que les consommateurs ne s’intéressent pas aux produits des inventeurs. Les consommateurs ne s’intéressent pas aux inventions. Les consommateurs veulent simplement des trucs qui leurs simplifient la vie. Par exemple, les consommateurs n’ont jamais eu besoin de disques 45 tours. Ils n’ont jamais eu besoin de Walkman. Tout ce qu’ils veulent c’est écouter de la musique. Et, dès qu’un nouveau produit, tel que l’iPod leur permet de faire la même chose mais d’une façon plus simple, alors ils optent pour ce nouveau produit. Les consommateurs achètent les produits qui leur simplifient la vie. Voici une réalité que les dirigeants peinent à comprendre. Et cette incompréhension est à l’origine de plusieurs centaines de milliards de dollars perdus chaque année.
Une entreprise plus établie sur un marché plus stable a recours à l’innovation pour créer un élément de différenciation vis-à-vis de ses concurrents. Dans ce cas-là, le vrai sujet, c’est de parvenir à améliorer son portefeuille de produits en s’assurant que les consommateurs récompensent chaque amélioration par un premium prix. Si les consommateurs ne récompensent pas l’amélioration apportée par un premium prix, alors, cette amélioration s’avère superflue. Aujourd’hui, par exemple, on trouve des fabricants de disque dur qui cherchent à encore augmenter la mémoire de leur disque dur, alors que ces améliorations capacitaires ne sont plus récompensées par un premium prix. L’investissement dans ces améliorations produits, c’est de l’argent perdu.
Enfin, dans un dernier temps, vers la fin du cycle industriel, les entreprises se tournent vers l’innovation pour survivre. C’est en général à ce moment-là, qu’il faut avoir recours à l’innovation de rupture. A la fin des années 70, IBM était leader sur les unités centrales (“mainframe”). Il s’agit d’énormes ordinateurs qui pouvaient prendre la place d’une pièce entière (10 mètres carré). Mais, IBM suivait avec beaucoup d’intérêt toutes les expérimentations du jeune et talentueux Steve Jobs qui bricolait, avec Steve Wozniac, des ordinateurs d’un nouveau dans leur garage. Et, ils ont compris que l’avenir, c’était celui des ordinateurs personnels, les PC.
Le problème, c’était que toutes les compétences et tous les actifs technologiques d’IBM avaient été développées autour du produit “unité centrale”. En même temps, le marché des PC se développait très vite. IBM ne disposait pas du temps nécessaire pour organiser la reconversion de tout son personnel à cette nouvelle technologie des PC. IBM n’avait pas le temps d’aller chercher de nouveaux actifs technologiques utiles pour le PC qui viendraient remplacer les anciens actifs technologiques, utiles pour les unités centrales. IBM n’avait pas le temps non plus d’aller démarcher de nouveaux fournisseurs et de nouveaux distributeurs qui seraient compétents en matière de PC.
Donc, ils ont fait quelque chose de très audacieux: ils ont créé une nouvelle structure, avec des équipes dédiées, disposant d’un bureau très éloigné du siège. Cette nouvelle équipe, financée à 100% par IBM, avait pour mission de prendre des positions sur le marché des PC. Et c’est exactement ce qu’il s’est produit. IBM est ainsi devenu leader sur le marché des PC. La nouvelle équipe a ensuite racheté sa maison mère et réincorporée le personnel d’IBM dans le nouveau IBM.
Pourquoi innover?
Donc, on voit que les entreprises ont recours à l’innovation pour des raisons différentes:
- Au début, il faut innover pour faire exister son produit
- Ensuite, il faut innover pour améliorer son portefeuille de produits
- Enfin, il faut avoir recours à l’innovation de rupture pour rester dans la course, notamment lorsqu’un produit de substitution vient prendre la place du produit qui avait été précédemment développé
Voilà, je pense, les raisons pour lesquelles les entreprises ont recours à l’innovation.
(1/3)
– La deuxième partie de cette discussion dans un second billet à venir la semaine prochaine.
Afin de mettre toutes les chances de votre côté, l’équipe de conseil de 7circles peut vous aider à innover.
Vous seriez intéressé par les articles suivants :
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– N’hésitez surtout pas à me faire part de vos commentaires sur ce sujet.
*Dans un esprit d’ouverture et de recherche, L Tech Solution réalise une série d’entrevues de fond avec des acteurs de premier plan en Innovation. Au gré de ces discussions ouvertes, nous découvrons comment bouge l’innovation dans les diverses régions du monde, qu’elle soit technologique, managériale ou encore d’ordre géographique. – Michel Landry
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