De quelles façons est-ce que les technologies digitales modifient le partage de la valeur ? Comment la valeur migre-t-elle dans un secteur déterminé ? Au moment où de nombreux spécialistes estiment que la valeur serait désormais dans la relation client plutôt que dans l’appareil de production, comment positionner l’entreprise pour accaparer davantage de valeur ? Voici quelques-unes des questions qu’Yves Caseau, Directeur de l’Agence Digitale d’Axa et auteur d’un blog sur l’architecture organisationnelle, et moi avons évoquées au cours d’une récente discussion.
I/ Présentation d’Yves Caseau
Yves Caseau est l’ancien Directeur Général Adjoint (DGA) Technologies, Services et Innovation de Bouygues Télécom. Il rejoint Axa en tant que « Digital Agency Director » pour piloter la transformation digitale d’Axa et assurer un rôle d’intermédiaire entre entre le marketing et l’informatique. Diplômé de l’École Normal Supérieure et titulaire d’une thèse en sciences informatiques, Yves est également l’auteur de livres reconnus : Processus et Entreprise 2.0 et Le SI démystifié.
II/ La migration de valeur
Dans un article paru dans TechCrunch on peut lire que la valeur serait en train de « migrer ». Hier, la valeur était nichée dans la production des biens. Aujourd’hui, la valeur serait dans la relation client. Comment peut-on démontrer qu’il y ait effectivement cette migration de valeur ?
La réponse d’Yves m’a éclairé : lorsque l’on regarde les pratiques des fonds d’investissement, on peut voir que, par le passé, les investisseurs retenaient comme condition d’investissement la cohérence de l’appareil de production. La chaîne de fabrication était donc l’élément déclencheur de la décision d’investir.
Aujourd’hui, le phénomène déclencheur n’est pas la capacité de production, mais plutôt l’identification d’un « pain point » ou d’une douleur du client. Les investisseurs cherchent à valider que le pain point identifié est réel. Puis, dans un second tour d’investissement, ils valident la pertinence de la solution proposée au regard du problème client.
Autrement dit, l’évolution des pratiques d’investissement atteste du fait qu’il y a effectivement une migration de valeur, l’attention des investisseurs étant désormais davantage portée sur la compréhension des besoins du client que sur la validation de la chaîne de production.
Mais, ce n’est pas le seul exemple qui révèle la migration de valeur. L’essor du Lean Startup comme méthode d’innovation dans les grands groupes constitue un autre exemple.
III/ Le Lean Startup
Chez Axa, Yves met en œuvre les préceptes du Lean Startup. Il appelle ses équipes à interagir au maximum avec les clients, afin d’entretenir avec eux un dialogue quotidien. Les clients sont amenés à donner leurs avis sur des innovations et/ou des évolutions de produits. L’objectif est de développer un produit rapidement pour le soumettre au jugement des clients et l’améliorer en fonction des retours.
Pour autant, j’ai fait remarquer qu’il y a un grand innovateur qui n’est pas un praticien du Lean Startup : Steve Jobs. La politique de confidentialité de Steve Jobs est telle qu’il est très difficile de montrer le produit en développement à une base de clients importante. Par exemple, lorsque l’iPhone 4 avait été égaré dans un bar, cela avait généré le suicide d’un employé d’Apple tant la pression semblait importante.
À cela, Yves a ajouté un deuxième précepte du Lean Startup qui n’est pas respecté par Apple. Il s’agit du perfectionnement du produit. Une startup ne dispose pas les moyens d’attendre que son produit soit parfait. À l’inverse Apple, une entreprise beaucoup plus établie et beaucoup plus prospère, peut attendre que son produit soit de très bonne qualité avant de le lancer sur le marché.
III/ L’optimisation de l’expérience client demeure la priorité
Yves m’a répondu qu’effectivement, Steve Jobs ne suit pas tous les préceptes du Lean Startup, notamment lorsqu’il s’agit de nouveaux produits. Mais, on trouve au moins deux convictions qui fédèrent Steve Jobs et le Lean Startup :
- L’idée que le consommateur ne sait pas ce qu’il veut tant qu’on ne lui a pas montré.
- L’attention apportée au consommateur : il s’agit d’un point commun entre le Lean Startup et ainsi que chez Apple. À ce titre, la dernière keynote de Tim Cook, où il montre comment on fait pour taper sur le clavier d’un ordinateur est révélateur du souci qu’Apple a d’améliorer leur gamme de produits année après année, même sur les fonctions les plus banales.
Lectures complémentaires sur la migration de valeur
- Pour un article décrivant le positionnement Lean Startup de 7Circles, se rendre ici.
- Pour une discussion avec Olivier Arnaud, expert en Lean Startup, sur le concept de “vision”, lire ce billet.
- Pour un article qui démontre comment la Data va créer de la valeur dans la relation client, consulter cette page.
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En me basant sur mes 15 ans d’expérience de la création de valeur*, plutôt que d’une “migration de valeur”, il s’agirait d’une prise de conscience par les investisseurs et les entrepreneurs que la valeur a toujours été dans la perception du client de l’utilité de l’offre par rapport à ce qu’elle lui coûte !
La facilité pour les clients de trouver des solutions variées met aujourd’hui en évidence qu’il ne suffit plus de proposer un produit -même utile-, mais de faire prendre conscience à l’utilisateur de son besoin, puis de lui donner envie de votre solution, ce qui se noue bien sûr dans la relation avec lui -et ses pairs via les réseau sociaux !.
Le Lean Startup reprend d’ailleurs du Lean l’idée qu’un processus ne devrait inclure que des étapes utiles à la réalisation du résultat attendu par le client. Et y ajoute le fondement de la méthode Agile du développement IT : le client ne sachant pas décrire ses besons correctement, et ayant tendance à en rajouter, il est plus simple de lui proposer au plus vite une solution dont il pourra juger si elle répond bien à ses besoins, et demander seulement les améliorations nécessaires et suffisantes.
Steve Jobs était un grand innovateur autant par cette compréhension de la difficulté d’expression du besoin que par son intuition que les clients attendent un “service complet” (iPod + iTunes, iMac + logiciels intégrés + ergonomie simple), et une esthétique différentiante (design super soigné jusqu’à l’emballage et au magasin + com décalée +…).
Mais tout le monde n’est pas Steve Jobs ! Et si le Lean Startup va évidemment dans le bons sens, il fait comme le Lean, le Design Thinking ou le Jugaad Innovation, l’impasse sur la possibilité d’aider les clients, utilisateurs et autres parties prenantes, à exprimer leur besoin d’une manière à la fois exhaustive, rigoureuse et simple, avant même de proposer une solution : c’est pourtant ce que permet le raisonnement Valeur(s) depuis des dizaines d’années ! Une synergie puissante est possible !
La Valeur n’est pas en train de migrer, mais la possibilité de la capter en proposant des solutions de valeur pour les clients échappe aux fabricants de produits qui n’ont pas maîtrisé la compréhension des besoins de leurs clients ! Ce qui laisse la place aux distributeurs et autres fournisseurs de services : si Harley fabrique des motos, les clients achètent un lifestyle. Si Apple ne fabrique pas de devices, il vend l’accès à la musique, le partage de belles photos, bientôt à la santé au poignet … etc.
Il n’est pas trop tard pour apprendre cette maîtrise des besoins, et développer les business models pour la création de valeur(s) : discutons-en sur Valeur(s) & Management ?
* et celle de l’AFAV, qui rassemble depuis 30 ans les pros de la Valeur en France
Bonjour,
Merci pour votre commentaire très fourni !
Je pense que votre propos appelle plusieurs remarques :
D’une part, effectivement, « Apple ne fabrique pas de devices, mais vend l’accès à la musique, le partage de belles photos ». Comme vous le dites très bien, les opérationnels ont tendance à se laisser enfermer dans leurs appareils de production. Ils oublient que le client n’achète pas l’iPod ou l’iPhone parce qu’ils auraient besoin d’iPod ou d’iPhone en tant que tels, mais plutôt parce que ces objets leur donnent accès à ce qu’ils veulent faire. Autrement dit, pour le consommateur, la forme produit est un moyen et non une fin en soi. Or, très souvent, les industriels croient que la forme produit est une fin en soi.
D’autre part, en ce qui concerne la notion de migration de valeur, ce que nous voulions dire c’est que, par le passé (avant que beaucoup de secteurs industriels parviennent à maturité), la valeur résidait avant tout dans la capacité à produire. Par exemple, dans les années 50, il fallait attendre plusieurs années avant d’obtenir une automobile, une fois l’achat effectué. Autrement dit, la clé de la profitabilité était dans l’effort de production. Aujourd’hui, le secteur de l’automobile est arrivé à maturité : tout le monde possède une voiture et parfois même plusieurs. Donc, ce qui compte, comme vous le dites très bien, c’est de mieux comprendre ce qui, pour le client, revêt de la valeur. Par exemple, les motorisations écologiques, mais aussi l’automatisation de la conduite ont le potentiel de changer profondément le partage de la valeur dans l’industrie. De ce point de vue là, la valeur a migré : elle est passée de la production à la compréhension des besoins des clients.
Merci beaucoup pour votre commentaire. J’ai également pris connaissance de votre billet sur votre blog. Je m’apprête à le lire avec intérêt.
Guillaume Villon de Benveniste
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