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Les DSI au cœur de l’innovation


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Comment mettre les DSI au cœur de l’innovation au sein de l’entreprise ? Une telle question peut paraître surprenante. Car, spontanément, on a tendance à penser que la fonction de directeur des systèmes d’information porte principalement sur l’outil informatique. Seulement voilà : à mesure que notre économie se digitalise, il est évident que l’innovation, elle aussi, s’est informatisée. Celle-ci est présente à toutes les étapes de la chaîne de valeur et paraît décisive pour réussir la création de nouveaux services, sans évoquer la constitution de « plateforme » digitale, laquelle permet de renouveler le modèle économique. D’où ma discussion avec Nicolas Abou-Rjeily, directeur des systèmes d’information.

A/ Présentation de Nicolas Abou-Rjeily

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Nicolas Abou-Rjeily est un Directeur des Systèmes d’information avec 25 années d’expérience international, investi dans la transformation des grands groupes à travers les technologies d’information et du digital dans l’industrie des produits de grande consommation, du luxe, du manufacturing et de la distribution dans des contextes B2B et B2C. Il a un parcours très riche, qu’il a mené dans deux grands groupes leaders mondiaux de leurs secteurs – Mars et L’Oréal, ou il a développé une double compétence de leadership stratégique et opérationnelle et c’est investit ces dernières années dans la mise en place d’un programme d’innovation technologique.

B/ Pourquoi l’innovation est-elle devenue déterminante ?

1/ Les fonctions opérationnelles ont recours à la technologie pour optimiser chaque étape de la chaîne de valeur

Selon Nicolas Abou-Rjeily, plusieurs facteurs qui y contribuent. D’une part, le prix d’entrée de la technologie a beaucoup baissé. D’autre part, la puissance de calcul a, quant à elle, beaucoup augmenté. Par conséquent, la technologie s’est démocratisée. Celle-ci paraît non seulement accessible aux experts mais aussi aux décideurs qui ne disposent pas de compétences techniques en tant que telles.

Nicolas cite par exemple le cas de l’intelligence artificielle. Celle-ci ne relève pas du tout d’une invention récente étant donné que les réseaux neuronaux existaient dès les années 70. Mais, aujourd’hui, une culture de l’open source comme la plateforme OpenAI d’Elon Musk, augmente l’accessibilité de cette technologie. Les opérationnelles — marketing, commercial, relation client, production industrielle. Ces fonctions n’hésitent plus à faire appel aux technologies novatrices pour optimiser leur productivité.

2/ Le succès fulgurant des GAFA

La deuxième raison pour laquelle l’innovation est devenue déterminante est d’une nature très différente. Il ne s’agit pas de la technologie en tant que telle mais plutôt de la réussite fulgurante de la Silicon Valley et plus particulièrement des GAFA. En septembre, la valorisation boursière combinée d’Apple et d’Amazon dépasse 2000 milliards, ce qui correspond à 70 % du PIB de la France, la cinquième puissance économique mondiale. Par ailleurs, culturellement, autrefois chacun souhaitait devenir banquier. Aujourd’hui, chacun veut créer une startup.

De leur côté, les entreprises établies craignent de se retrouver « ubérisées ». Pour accroître leurs avantages concurrentiels elles se tournent vers l’innovation pour mettre au point de nouveaux services et produits à fin de se prémunir contre la disruption digitale.

C/ L’innovation relève d’un exercice complexe

Voici donc les enjeux de l’innovation. Maintenant, comment un directeur des systèmes d’information peut-il transformer son équipe pour que celle-ci développe des projets novateurs ?

Selon Nicolas Abou-Rjeily, il s’agit en premier lieu d’établir un double constat. D’une part les anciennes méthodes ne fonctionnent plus. D’autre part, le directeur des systèmes d’information, qui n’a pas su aborder a temps le virage du digital, devrait repenser son organisation.

Premier constat : les anciennes méthodes ne fonctionnent plus

Dans les années 2000, on modélise des processus uniques, comme le montre l’essor de l’automatisation de processus d’entreprise et des ERP (Enterprise Resource Planning). On conçoit un processus métier idéal et tous les processus réels devaient s’y conformer. Les entreprises gagnent en efficacité opérationnelle. Mais lorsqu’on applique ces processus à l’externe, notamment vers le client et les consommateurs, une telle approche ne fonctionnait pas parce que les clients ne souhaitent pas se conformer au processus de l’entreprise. Les ERP centrés sur le client n’ont jamais fonctionné. Par exemple, la modélisation du parcours consommateur : les entreprises n’imposent pas leurs processus à leurs consommateurs. Elles essayent de comprendre les parcours de leurs consommateurs, par Design Thinking. Cette méthodologie permet de définir 5 ou 10 « persona ». Dans le domaine du marketing, un « persona » est un personnage imaginaire représentant un groupe ou segment cible dans le cadre du développement d’un nouveau produit ou service ou d’une activité marketing prise dans sa globalité. Autrefois, on essayait de modéliser chacun de ces « persona » en un seul processus. Mais en faisant ainsi, on passe à côté de la spécificité de certaines « persona » et on dégrade l’expérience client.

De son côté, Salesforce.com s’est imposé précisément pour cette raison. La startup californienne n’a pas conçu de processus unique mais plutôt une plateforme. Or, celles-ci, plus agiles, s’appuient sur des API et permettent de traiter l’ensemble des persona. Elles s’avèrent donc plus pertinentes.

 

Deuxième constat : les Directeurs des Systèmes d’Information ont raté le virage du digital

 

Depuis 3 ou 4 ans, on voit l’émergence des CDO, notamment dans le domaine des ventes, de la relation client, marketing, média. Autrefois, les DSI se concentreraient surtout sur les fonctions back-office : achats, manufacturing, finance, RH, … Mais, ils ont raté le virage du digital. D’où le rôle des CDO : ces derniers ont pris les enjeux de la technologie dans tout ce qui tourne autour du « front office » et de la relation client.

Seulement, dans les entreprises, on ne peut pas innover d’un côté et industrialiser de l’autre côté. Pourquoi ? Parce que dans une société qui a réseau de distribution large et complexe, l’innovation doit être déployable dans une échelle mondiale et d’une façons rapide. Les DSI ont prouvé qu’ils peuvent industrialiser les solutions technologiques à une échelle internationale et globale. Or, les CDO innovent mais peinent à passer à la phase de l’industrialisation.

D’où l’importance de l’innovation pour les DSI et les CDO. Aujourd’hui, il y a des CDIO ou CIDO (« chief information and digital officer »). Il s’agit de DSI qui sont parvenus à se moderniser. Ils ont rénové et modernisé leurs cœurs du système d’information. Ils savent non seulement être des preneurs d’ordre mais aussi être force de proposition au business.

D/ Comment intégrer l’innovation au sein de la direction des systèmes d’information ?

Comment faire pour passer d’un statut de preneurs d’ordre à un statut de force de proposition au business ? Répondre à une telle question demande dans un premier temps d’asseoir la crédibilité de l’équipe informatique et ensuite de repenser son organisation.

1/ Réussir l’exécution

Obtenir la crédibilité suppose d’abord de réaliser les missions conférées aux équipes informatiques de manière satisfaisante. Il s’agit d’excellence opérationnelle mais aussi, de globalisation des fonctions informatiques et de professionnalisation de ses différents métiers. À une époque où le terrorisme ne cesse de surprendre, la cybersécurité s’avère également primordiale.

De plus, l’architecture technique paraît très importante. Il s’agit de former des équipes chargées d’assurer la mise en œuvre de processus de bout en bout afin de garantir la qualité des données. Cette base reste indispensable pour construire ensuite une plateforme digitale à partir de laquelle des applications répondant à un besoin plus particulier peuvent être imaginées.

Au-delà des aspects purement informatiques, connaître les enjeux des fonctions opérationnelles constitue aussi un enjeu. Il ne faudrait pas que les équipes informatiques ne se montrent compétentes qu’en matière de technologie sans percevoir la finalité opérationnelle, commerciale et financière de leurs actions. En outre, cette compréhension du business permet de dénicher de nouvelles opportunités de gains de productivité.

De plus, les méthodes de travail peuvent également être amenées à évoluer. Comme évoqué précédemment, il s’agit de passer d’une culture linéaire, visant à bâtir des processus uniques à des méthodes laissant davantage de place à l’agilité et à la flexibilité. De là, la constitution d’équipes pluridisciplinaires composées à la fois des compétences et talents informatiques mais aussi de marketing, de vente et des opérations. Ces équipes restent un atout précieux pour créer des usages novateurs.

En dernier lieu, on peut évoquer l’enjeu de la formation et du développement des collaborateurs. Aujourd’hui, pour réussir dans ce domaine d’innovation, il faut acquérir de nouvelles compétences. Avant, on cherchait des personnes expertes en SAP et dans l’infrastructure ; aujourd’hui, on cherche plutôt des gens qui sont des architectes du cloud ou des facilitateurs de « hackatons ». Une connaissance en matière de données, à la fois pour les consolider (extraction, transformation et mise a disposition de données), et aussi les interpréter les données (trouver les patterns, prévoir les futurs) s’avèrent également précieuse.

Voici donc les enjeux purement opérationnels liés à la fonction informatique. Mais, réussir l’innovation demande également des évolutions de l’organisation.

2/ Repenser l’organisation de l’IT

Les réorganiser suppose d’imaginer de nouvelles fonctions au sein des équipes informatiques. Il s’agit notamment des responsables de la relation avec telle ou telle fonction opérationnelle.

La création de nouveaux postes au sein des équipes informatiques

Le métier de BRM (« Business Relationship Manager »)

On peut créer des rôles de BRM (« Business relationship manager »). Il s’agit de responsable disposant d’une vue globale du portefeuille d’applications ou de projets dans un domaine fonctionnel spécifique à l’échelle mondiale.

La constitution d’une cellule de l’innovation

Et puis, mettre en place une cellule consacrée à l’innovation peut aussi s’avérer pertinent. Elle s’occupe de la veille sur les technologies novatrices afin de comprendre comment celles-ci sont utilisées dans les différents métiers. De là, on peut bâtir des partenariats avec les écoles, les incubateurs et les startups. Tout ceci permet de modifier la fonction informatique pour qu’elle puisse contribuer encore davantage à l’efficacité opérationnelle.

Repenser la place de l’IT dans l’organigramme de l’entreprise

Mais, réorganiser les équipes informatiques ne s’arrête pas simplement à une réorganisation interne de celle-ci mais aussi un repositionnement au sein de l’organigramme de l’entreprise.

Aujourd’hui, la plupart des directions des systèmes d’information sont rattachées à la direction financière ou à la direction des opérations. Par conséquent, on attend surtout des résultats portant principalement sur l’optimisation des processus et des coûts opérationnels. Mais, si l’on veut donner un second souffle aux équipes informatiques, celles-ci doivent également être associées à la génération de nouveaux revenus en prenant part, par exemple, à la création de nouveaux produits, services et même à l’expansion géographique de l’activité. Car à chaque fois, l’informatique reste déterminante. Et très souvent, une coordination perfectible avec les équipes informatiques génère des surcoûts qui auraient pu être évités.

De manière générale, une grande partie des activités opérationnelles s’informatise. Il s’agit notamment de la relation aux clients dans des secteurs tels que celui de la grande distribution. Il s’agit également des opérations ou l’industrie 4.0 permet de réaliser des opérations de maintenance prédictive qui préviennent tout arrêt brutal et imprévu de l’outil de production. Si la direction informatique souhaite véritablement valoriser l’ensemble de son choix à faire, elle doit devenir, selon Nicolas Abou-Rjeily, « bilingue ». De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’apprendre à parler des enjeux opérationnels et business aussi bien que les enjeux technologiques.

Pour résumer, les DSI ont toutes les cartes pour se remettre au centre de la transformation digitale afin de pouvoir passer d’une situation de fournisseur de services IT vers un partenaire qui aide les fonctions opérationnelles à aborder la transformation digitale et mener certains chantiers en lien direct avec les directions générales.

 

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