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L’industrie pharmaceutique traverse une période de changements, selon Alain Bassil, directeur de la stratégie digitale de Merck


Alain Bassil
Alain Bassil – Directeur Stratégie Digitale chez Merck

Quels sont les changements auxquels font face les acteurs de l’industrie pharmaceutique ? En quoi le modèle économique traditionnel des acteurs établis de l’industrie pharmaceutique est-il remis en cause ? De quelle façon cette évolution du modèle économique de l’industrie pharmaceutique modifie-t-elle les canaux de distribution ? Telles sont les questions que Alain Bassil et moi-même avons évoqué au cours d’une récente discussion.

I/ Le modèle économique fondé sur le blockbuster est remis en cause

Selon une étude qui a fait date d’un cabinet de conseil en stratégie américain, Bain & Companyle modèle économique du blockbuster s’essouffle. Le modèle économique du blockbuster désigne un modèle économique où des dépenses importantes sont consenties pour développer de nouvelles molécules, lesquelles soignent une pathologie qui est partagée par un nombre très important de patients. Or, plusieurs facteurs concourent à remettre en cause ce modèle économique qui a pourtant créé un trillion de dollars de valeur actionnariale.

D’une part, on assiste à un durcissement réglementaire qui fait qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir  une autorisation de mise sur le marché. Auparavant, pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, il suffisait de démontrer que la nouvelle molécule avait un effet bénéfique. Aujourd’hui, il faut que les nouvelles molécules présentent des effets bénéfiques supérieurs aux autres molécules en présence sur le marché. A partir de là, le nombre de molécules qui ont été autorisées à être mises sur le marché a chuté de façon considérable.

Le constat de la Food and Drug Administration américaine, qui délivre les autorisations de mise sur le marché, est retentissant. Sur les 48 nouvelles entités autorisées en 2011, seulement 12 molécules représentent un progrès contre 53 en 1996 et 22 en 2006 (source). En 2013, ce sont également 12 nouvelles molécules qui ont été enregistrées, mais cette fois-ci en comptabilisant la FDA ainsi que l’Europe (source).

D’autre part, on assiste à un durcissement de la réglementation en particulier en ce qui concerne les relations que peuvent nouer les laboratoires pharmaceutiques avec les médecins. Ainsi, selon une récente réglementation, les laboratoires doivent déclarer tout paiement à un médecin d’un montant supérieur à 10 €. Le Sunshine Act (du nom du traité américain homonyme) stipule en effet, au nom de la transparence, que les liens entre les laboratoires et les professionnels de santé soient connus, qu’il s’agisse d’achat, d’avantage, de prestation ou de cadeaux. Tous ces liens sont ensuite répertoriés sur le site Transparence Santé du gouvernement afin de garder une trace. Des textes réglementaires récents ont cependant limité l’obligation de transparence, ce qui limitera l’affichage des liens entretenus. Ainsi les liens d’intérêt soumis à contrat avec facturation entre laboratoire et médecin ne seront pas montrés.

Enfin, il semblerait qu’il y ait des évolutions épidémiologiques telles qu’il devient de plus en plus difficile d’identifier une pathologie qui serait partagée par des millions de patients. Par conséquent, développer une molécule dont les coûts de développement seraient amortis par une base d’acheteurs se comptant en millions paraît d’autant plus difficile. Toujours selon le rapport de Bain & Company, le marché s’engorge avec le modèle du blockbuster qui a déjà couvert un grand nombre de maladies globales. Dorénavant, depuis les années 2010, la recherche, le développement et la commercialisation d’un tout nouveau médicament couterait presque deux milliards de dollars, c’est 55% de plus que le coût pratiqué entre 1995 et 2000. De plus, le retour sur investissement du modèle blockbuster ne serait plus que de 5%. Un médicament sur six seulement serait susceptible de rapporter plus que la somme qui a été investie.

Voici donc l’ensemble des éléments qui remettent en cause le modèle économique des acteurs pharmaceutiques.

II/ La remise en cause du modèle économique des industries de la santé modifie les moyens d’interaction avec les professionnels de santé

Ensuite, au cours de mon échange avec Alain Bassil, nous avons discuté de comment cette remise en cause du modèle économique des acteurs de la santé modifiait les pratiques. Sur les dix dernières années, on assistait à une décroissance des effectifs des visiteurs médicaux. Selon une étude des Echos datant d’Avril 2014, nous sommes passés en 2007 de 21900 visiteurs médicaux à 14036 en 2013.

Un aperçu de l'évolution des visites médicales - Cliquer pour agrandir
Un aperçu de l’évolution des visites médicales de 2007 jusqu’à 2018 – Cliquer pour agrandir

Cela au profit d’un investissement important dans le multicanal, les visites physiques étant remplacées par des relations multicanales. Parmi les outils qui ont été utilisés, on trouve évidemment tout ce qui tourne autour des outils de l’Internet, tels que les e-mails, les sites internet, le e-detailing sous toutes ses formes allant du self detailing, en passant par le blended detailing jusqu’au remote edetailing.

En 2004, MSD lançait Univadis, plus tard relancé par l’équipe d’Alain Bassil, un hub pour les médecins et professionnels de santé. On y trouve alors information, formation et services qui accompagnent les professionnels dans leur pratique au quotidien. Docvadis voit ensuite le jour en 2008, cette fois-ci pour améliorer la prise en charge des patients et prolonger la relation avec le professionnel de santé en permettant au médecin de se créer une plateforme médicale en ligne. Dernier et plus récent apport, le réseau social Comuniti chapeauté par l’équipe d’Alain Bassil s’inscrit quant à lui dans une dynamique de collégialité puisqu’il a pour vocation de mettre en relation les professionnels de santé entre eux.

Il faut toutefois préciser que les contenus et services fournis par ces plateformes ont été décidés en toute indépendance éditoriale vis-à-vis de MSD. En effet un certain nombre de comités scientifiques indépendants ont été constitués afin de juger de la pertinence du contenu fourni par de nombreux fournisseurs indépendants.

Voici donc comment des acteurs établis tels que MSD sont parvenus à prendre le virage de l’innovation digitale au moment où leurs modèles économiques sont remis en cause.

Afin de mettre toutes les chances de votre côté, l’équipe de conseil de 7circles peut vous accompagner pour améliorer la performance de votre entreprise.

Lectures Complémentaires

  • Pour accéder au rapport du cabinet Bain & Company dans sa totalité, cliquez sur ce lien.
  • Pour comprendre pourquoi malgré la crise d’un modèle, l’industrie pharmaceutique se porte bien, lisez ce billet.
  • Pour une discussion où j’aborde les mutations de l’innovation dues au numérique, lire cet article.

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