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Réussir l’innovation reste un défi pour les grandes entreprises (1/4)


Aux Etats-Unis, les entreprises de biens de grande consommation introduisent environ 30 000 nouveaux produits par an. Sur les 25 dernières années, entre 70 % et 90 % de ces produits ne trouvent pas leurs clientèles, d’après une étude du Harvard Business Review. Ils sont donc retirés du marché en l’espace de 12 mois seulement. Pourquoi les grandes entreprises peinent-elles à mettre sur le marché des innovations que leurs clients sont prêts à acheter ?

Droits d’auteurs: danslapresse.com

I/ Même les entreprises les plus innovantes peinent à innover

En outre, tous les grands groupes, même les plus innovants, ont retirés certains produits du marché au cours de la dernière décennie :

 

II/ Or, les raisons spontanément évoquées pour expliquer ces échecs ne sont guère convaincantes

A chaque fois, les raisons pour expliquer ces échecs, on évoque des raisons de circonstances. Ainsi:

  • Danone aurait retiré Essentis du marché parce qu’il n’aurait pas convaincu le consommateur du bénéfice produit, notamment en ce concerne ses bienfaits pour la peau.
  • Renault aurait retiré VelSatis parce que le marché haut de gamme de l’automobile se serait avéré très différent du moyen de gamme, en termes de structures de coûts, de qualité du produit, du positionnement de marque et du positionnement concurrentiel.
  • Google aurait retiré Knole parce que Wikipédia aurait déjà été très présent sur le marché de l’encyclopédie en ligne collaborative.

A chaque fois, ce qui est étonnant, c’est à quel point ces explications ne sont pas satisfaisantes. En effet:

  • Renault devait savoir avant de financer la VelSatis que le marché du haut gamme était foncièrement différent de son marché d’origine.
  • Danone, habitué aux campagnes de marketing, devait avoir les moyens de savoir que convaincre qu’un yaourt peut apporter des bénéfices pour la peau était pour le moins ambitieux.
  • Google savait également Wikipédia était un concurrent redoutable, notamment parce qu’il avait prévalu contre l’encyclopédie Encarta de Microsoft, et aussi parce qu’il était bien installé, comme en témoignait l’engouement mondial pour cette encyclopédie en ligne.

 

III/ Plus récemment, on a expliqué ces difficultés à innover en faisant porter la responsabilité sur le consommateur  

Pour expliquer la difficulté à concevoir des produits innovants que les consommateurs seraient prêts à acheter, on a avancé, plus récemment, une multiplicité d’explications, cette fois-ci centrées sur le consommateur. Ainsi:

  • les coûts de changement consentis par les consommateurs passant d’un produit ancien à un produit innovant (« switching costs ») seraient trop élevés. Ainsi, alors que Samsumg met sur le marché des Smartphones innovants et parfois plus performants que les iPhone d’Apple, beaucoup d’utilisateurs d’iPhone rechignent à acheter un Samsung, notamment parce qu’ils perdraient leurs contenus, tels que la musique, les e-book, et les vidéos.
  • le temps qu’il faut pour apprendre à utiliser le nouveau produit (« learning costs ») serait trop long. Par exemple, une des barrières les plus significatives à l’achat d’un MacBook Air, l’ordinateur qui inaugure une nouvelle catégorie d’ordinateurs (les ultraportables), provient d’une différence de système d’exploitation qui contraint les utilisateurs de PC à réapprendre à utiliser certaines fonctionnalités.
  • le coût d’obsolescence (le fait de ne plus pouvoir utiliser certains accessoires avec le produit innovant) serait trop important. Par exemple, le fait de ne plus pouvoir utiliser ses cassettes vidéo sur le lecteur de DVD a freiné l’essor des lecteurs DVD, un produit offrant pourtant une image d’une qualité supérieure.
  • l’effet de dotation (« the endowment effect ») fait que le consommateur a tendance à surévaluer ce qu’il possède et sous-évaluer ce qu’il ne possède pas. De là, vient le fait qu’il est très difficile de convaincre un consommateur de mettre son produit traditionnel de côté au profit d’un produit innovant. Richard Thaler et Dorothy Keller, deux économistes de l’université de Chicago qui se spécialisent dans la finance comportementale, ont montré que les consommateurs développent des liens affectifs avec certains produits qu’ils utilisent régulièrement. Par conséquent, ils ressentent une aversion pour la perte (“loss aversion”) de ce produit, laquelle aversion retarde l’adoption de nouveaux produits.
  • le biais du statu quo qui fait que le consommateur a tendance à se satisfaire des produits qu’ils possèdent déjà même s’il existe des produits innovants plus performants. Ainsi, aujourd’hui, on pourrait changer toutes les prises de courant, notamment les prises murales, par des prises USB. Il n’y aurait plus de problème de compatibilité de prises pour les voyageurs traversant la frontière et l’on pourrait brancher un équipement informatique directement sur une prise murale, sans avoir de chargeur distinct. Pourtant, les consommateurs restent bien attachés à leurs prises murales traditionnelles, même si elles s’avèrent moins pratiques à l’usage.

Ces éléments expliquent pour partie la difficulté qu’il y a à mettre sur le marché des innovations que les consommateurs vont acheter. Mais, en réalité, il y a une autre explication, qui est beaucoup plus fondamentale: si les grandes entreprises ne parviennent pas à innover, c’est parce que leur approche de l’innovation est faussée.

Voici un sujet que j’évoquerai dans un prochain billet. Dans l’immédiat, pourquoi, selon vous, les entreprises peinent-elles à innover?

 

Lectures complémentaires:

  • Pour une description des difficultés psychologiques et comportementales affectant les consommateurs, notamment lorsqu’il s’agit d’adopter un produit innovant, veuillez-vous référer à cette étude de Richard Thaler, Daniel Kahneman et Jack Knetsch
  • Pour une discussion des raisons de l’échec du « New Coke », notamment dans l’utilisation des études consommateurs, veuillez-vous référer à Anne B. Fisher «Coke’s Brand Loyalty Lesson», Fortune, August5, 1985 pp.44-46
  • Pour une présentation des raisons pour lesquelles Steve Jobs n’a pas investi dans le Palm Pilote qui lui a pourtant été présenté, veuillez-vous référer à Walter Isaacson, Steve Jobs, chapitre 35

 

© Guillaume Villon de Benveniste – @GVillondeBen

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