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La digitalisation des banques (2/2)


Comment engager la digitalisation des banques ? Voici une question qui fut au centre d’une récente discussion que j’ai eue avec Frédéric Champion.

I/ Organisation et excellence opérationnelle

Un objectif d’économie de coûts

Afin de soutenir leur croissance et se doter de marges de manœuvre pour leur transformation digitale, les groupes bancaires travaillent sur la simplification de leur modèle opérationnel : fusions de caisses régionales, réduction du nombre d’agences, mutualisation de fonctions support, rationalisation de leur système d’information… à titre d’exemple, BPCE ambitionne de poursuivre la simplification de la structure du groupe afin de dégager un 1Md€ en termes d’économie de coûts opérationnels d’ici 2020. Ceci passe, entre autres, par une fusion des banques et caisses régionales en cohérence avec la nouvelle carte des régions, avec la bonne taille pour servir les ETIs et en développant les synergies nécessaires sur les fonctions siège et support. En 4 ans, le réseau des banques populaires passera de 15 à 11.

 

Une IT fragmentée

D’un point de vue IT, on assiste à une démarche similaire. Chaque banque et chaque caisse bénéficient de son système d’information, lequel est géré par une plateforme commune (commune entre les différentes Banques populaires et commune entre les différentes caisses d’épargne). Une démarche de rationalisation et opérée pour :

  • Simplifier et mutualiser les paramétrages.
  • Disposer d’une gouvernance commune pour optimiser les coûts de build et run de projets, et mutualiser les compétences clés…
  • Moderniser les infrastructures
  • Avoir une architecture globale cohérente et qui prépare l’avenir.

 

Les DSI des banques souhaitent s’appuyer de plus en plus sur des pratiques agiles (SCRUM, conception en mode Lean startup, utilisation du Design Thinking…) et optimisation du mode d’exécution des projets (CLOUD, DEVOPS…) pour toutes les applications du front office, sachant que le core banking reste à 90 % basé sur un langage de programmation daté de 1959, le COBOL (« Common Business Oriented Language »), lequel est tout sauf agile. Un des graals des groupes bancaires serait de repartir sur un SI complètement digital, avec une approche complètement agile, une gouvernance de données et des budgets spécifiques.

 

L’APIsation du système d’information bancaire

Face aux défis de la banque de demain, l’architecture du SI bancaire doit se transformer pour être à l’état de l’art digital et suffisamment ouvert : cela passe notamment par le développement d’une couche d’OPEN API pour concevoir de nouveaux services et des parcours client « omni-canaux », avec une expérience client similaire peu importe le média utilisé : ordinateur, mobile, tablette… (« omnidevice »). En outre, cette architecture ouverte a l’intérêt de limiter le couplage avec le SI « legacy » qui reste dédié aux opérations du « core banking », et de répondre aux enjeux de « time to market ». Cette stratégie est renforcée par la nécessité imposée par le régulateur, notamment avec la DSP2, d’ouvrir ses services et ses données pour des acteurs tiers.

 

La gouvernance projet doit gagner en efficience

Toutefois, l’effort reste encore très important pour atteindre un SI Digital : Les acteurs doivent composer avec un outil informatique encore très traditionnel et rigide. Le faire évoluer demeure très onéreux. De plus, la gouvernance projet se montre complexe avec l’ensemble des acteurs, en prenant en compte toutes les exigences en termes de réglementation, conformité et sécurité. Les décisions prennent du temps.

 

De plus, le pilotage de portefeuille de projets doit encore évoluer : la performance métier est rarement évaluée. La mesure de la valeur apportée par les projets — tout ce qui est dynamique d’engagement des managers et collaborateurs et pilotage budgétaire des projets — est annualisée, ce qui pose problème. En effet, la plupart des projets s’étendent sur plusieurs années puisque la durée moyenne d’un projet étant de 18 mois ou 24 mois. Disposer d’une vision par année complique le pilotage les projets dans toute leur durée de vie.

 

I/ Une transformation digitale qui veut repenser le modèle de la banque

Pression concurrentielle, marché qui impose une capacité d’adaptation rapide et permanente, crainte d’un dépassement technologique, contraintes réglementaires accrues, exigences des clients et partenaires de bénéficier d’une expérience enrichie, envie des collaborateurs d’évoluer dans un environnement plus ouvert, bienveillant et dynamique… la transformation digitale apparaît comme une nécessité et un enjeu majeur pour les groupes bancaires. Véritable phénomène de mode, à grand renfort de communication, ces programmes de transformations agissent sur les principaux leviers, avec des niveaux de maturité différents :

  • Digitalisation des Processus clients et métiers en misant sur l’UX
  • Refonte du système d’information
  • Simplification des modes de fonctionnement internes
  • Transformation culturelle pour une entreprise plus libérée
  • Exploration de nouveaux territoires business, notamment par le déploiement de démarches d’Open Innovation

 

A titre d’exemple, un groupe comme BPCE veut investir 750 ME en matière de transformation digitale, sur 4 ans, et y dédier plus d’un millier de collaborateurs (parmi un effectif total de 108 000 collaborateurs). L’objectif : concevoir et proposer des produits et services tous les 6 mois.

 

Pourtant, des exemples plus ou moins récents, montrent que les programmes de transformation quels qu’ils soient, représentent toujours des tournants difficiles et délicats à négocier, et que dans bien des cas les résultats observés sont bien en deçà des espérances des dirigeants comme des personnels (60% des transformations digitales échouent pour Forrester Consulting). En outre, 78% des CDO déclarent qu’ils sont sur un métier à obsolescence programmé.

Repenser l’expérience utilisateur : l’enjeu n°1 de la transformation digitale

« La simplicité est la sophistication suprême ». Quelle que soit la cible (client, collaborateur, partenaire), il faut toujours chercher à simplifier et faciliter la vie de nos utilisateurs. Ceci nécessite de repenser non seulement les processus internes de l’entreprises, mais aussi un modèle de travail d’avantage basé sur la bienveillance, confiance et responsabilisation. En outre, il s’agit de bien observer le terrain et comprendre les problèmes rencontrés. Le travail à accomplir va bien au-delà des programmes de dématérialisation des actes et contacts entamés depuis plusieurs années.

Mesurer la performance pour atteindre le niveau des « Pure Players internet »

Standard de mesure de la recommandation client, le NPS (« Net Promoter Score ») devient un des indicateurs majeurs suivis dans le secteur bancaire. Avec le digital, l’ambition est de passer d’un score négatif à des niveaux allant au-delà de +44.

De plus, il s’agit d’atteindre plus de 10 % de souscription sur les canaux digitaux et que plus de 90 % des clients utilisent les services en ligne, ce qui suppose de rattraper une partie du retard accumulé par rapport à d’autres secteurs et de se rapprocher des standards du marché.

Acculturation des collaborateurs

« employees first, customers second » : les premiers ambassadeurs de la marque sont les collaborateurs. Il est essentiel de prendre soin d’eux, de leur faciliter la vie au quotidien, de donner du sens à la transformation et de travailler sur la culture d’ouverture et d’innovation. Dans ce contexte,100% des collaborateurs doivent avoir une sensibilisation et un libre accès aux meilleurs outils digitaux. Le déploiement de réseau sociaux de type YAMMER peut être un moyen intéressant si l’on n’oublie pas de travailler sur les usages et les modèles de coopération…

 

Les banques restent très frileuses pour donner accès à l’usage digital complètement libéré à leurs collaborateurs. Le fait de donner un mobile à des collaborateurs bancaires reste encore très statutaire. Cela peut générer des barrières aux nouveaux usages : quand BPCE a déployé le dispositif « Apple Pay » pour les clients, une difficulté inattendue est apparue : les collaborateurs n’utilisent pas Apple Pay, parce qu’il faut un iPhone 6 alors que la plupart des collaborateurs n’ont pas mieux qu’un iPhone 5.

La cyber-sécurité : un enjeu crucial pour les banques

La transformation digitale doit s’accompagner de la nécessité de capitaliser sur le principal asset, à savoir être un tiers de confiance. Une question majeure se pose : « comment concilier l’ouverture de notre écosystème et la recherche d’une expérience client sans cesse améliorée, face à des risques de sécurité, une cybercriminalité de plus en plus élaborée et une ingénierie sociale qui s’appuie sur les faiblesses de nos clients et de leurs fournisseurs ? ». La sécurité doit être considérée comme un pilier majeur de la stratégie. C’est d’autant plus important dans le cadre de développement de nouveaux services comme le virement instantané (ce que les Américains appellent l’ « instant payment »), qui désigne la capacité à réaliser un virement à un tiers en moins de 10 secondes là où aujourd’hui, une banque l’effectue en 48 heures.

Les rapports aux Fintechs

Certains acteurs anticipent le mouvement face aux directives d’ouverture du marché (DSP 2 : directive de service de paiement numéro 2 et prennent du recul vis-à-vis des Fintechs : ils les voient dans une logique de coopération en offrant des services complémentaires. Les stratégies digitales bancaires — dont l’horizon est de 2025 ou 2030 — s’appuient sur tout ce qui est « open banking ». Celle-ci peut prendre 3 formes :

  • 1/ la Market place bancaire type Amazon (gestion d’assurance, sécurité…) que chacun pourrait vendre.
  • 2/ « bank as a platform » : dans des logiques de partenariat, une banque s’appuie sur des Fintechs et vend des services en marque blanche en plus des siens.
  • 3/ « Bank as a service » (APIsation de la banque : la banque expose ses propres API à des tiers qui développent des produits et services).

 

De là devrait émerger un modèle hybride composé de certains actifs des banques établis et d’autres issus des FinTech.

 

La mutation du secteur bancaire est un engagement à long terme et un cheminement qui soulève des défis multiples et complexes. Les dirigeants qui s’engagent dans cette dynamique de performance doivent composer avec trois dimensions fondamentales tel un équilibriste : business-technologique-humaine.

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